« Un procès par le biais de la télévision »

Pendant le débat sur la loyauté de Herbert Norman, les Canadiens ont souvent ressenti une grande frustration à cause de leur impuissance à influencer les évènements aux États-Unis. Les diplomates canadiens faisaient de discrètes pressions et les médias canadiens protestaient vigoureusement. Mais l’inquisition que le chef du Parti progressiste conservateur, John Diefenbaker, a nommé « procès par le biais de la télévision », a été menée par le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne (SISS) des États-Unis.

Curieusement, même les Américains, incluant le président, ont été incapables de tempérer l’agressivité des anticommunistes du SISS. La raison de cette apparente contradiction se trouve dans la nature même de la structure politique de chacun des pays.

Au Canada, les luttes politiques et quelques violentes batailles au dix-neuvième siècle avaient cimenté la connexion entre le pouvoir exécutif (le premier ministre et le cabinet) et le pouvoir législatif (les membres du parlement). Sous ce système de « gouvernement responsable », le pouvoir exécutif a de plus en plus contrôlé l’action politique de la législature. Il y avait des comités à la Chambre des communes et au Sénat, mais le premier ministre et le cabinet les tenaient de mains fermes.

Aux États-Unis, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif du gouvernement fédéral sont autonomes et peuvent agir indépendamment l’un de l’autre. Ainsi, les comités du Congrès (composé de la Chambre des représentants et du Sénat) ont une grande indépendance. Lors de la guerre froide, une période fort instable, des membres du Congrès peu orthodoxes et ambitieux, comme le sénateur Joseph McCarthy, ont pleinement utilisé les comités du Congrès comme plateformes pour leurs croisades personnelles et politiques.

Le SISS, la Némésis de Herbert Norman, est arrivé assez tard dans la course aux communistes. Créé en 1950, le SISS devait traiter l’espionnage comme une menace à la sécurité interne des États-Unis. Étant donné que ces menaces pouvaient provenir de plusieurs pays, les enquêtes du sous-comité n'étaient donc pas confinées aux citoyens américains. Lors de sa première enquête d’envergure, par exemple, le SISS a fait enquête notamment sur des citoyens des États-Unis, de la Chine, du Japon, de la Grande-Bretagne et du Canada.

De 1951 à 1957, les années où le nom de Norman a été entendu plusieurs fois par le SISS, le sous-comité au eu trois présidents, tous de fervents anticommunistes. De 1952 à 1955, le sénateur républicain William Jenner a présidé le sous-comité et utilisé l’occasion pour tenter de faire venir Igor Gouzenko à Washington pour témoigner. En 1955, James O. Eastland du Mississippi est devenu président, un poste qu’il a gardé jusqu’à l’abolition du SISS en 1977. Pendant cette longue période, il a ajouté à son anticommunisme sa vive opposition à la campagne des Afro-Américains pour obtenir l'égalité raciale. Il considérait la subversion communiste comme étant à la base du Mouvement pour la défense des droits civiques et il a utilisé tout son pouvoir pour attaquer ces fauteurs de troubles.

Aux États-Unis, les comités législatifs convoquent les personnes à venir témoigner. Ne pas se présenter, refuser de témoigner ou mentir sous serment peut mener à des sentences d’emprisonnement pour outrage au comité ou pour parjure. Pendant la guerre froide, le simple fait d’être convoqué par un comité pouvait avoir pour conséquence de perdre son travail et d'endurer le harcèlement, les assauts et la condamnation des autres. Alors qu’ils faisaient face aux lumières aveuglantes des premières caméras de télévision et aux flashs des photographes, les témoins étaient rabaissés et tourmentés par les politiciens. Les membres des comités savaient que de tels spectacles étaient des évènements médiatiques. Un journaliste de Washington s’est plus tard remémoré que « McCarthy était un rêve. J’ai fait la une tous les jours pendant quatre ans. » Mais les gens sur qui il écrivait ont souvent considéré que faire la une était plus un cauchemar qu'un rêve.

Dans un pays où le Parti communiste avait peut-être 75 000 membres à son plus fort pendant la Seconde Guerre mondiale, mais pas plus du cinquième de ce nombre dans les années 1950, comment les comités législatifs trouvaient-ils de nouveaux témoins à questionner et des « traîtres » à découvrir? Les documents de cette section mènent vers les sources principales où s’abreuvait le SISS. (Des preuves additionnelles peuvent être trouvées dans la sous-section Réactions immédiates sous la section Suites.) Ces sources ont permis au comité de continuer à fonctionner et à générer de la publicité pour les politiciens. Lorsque vous évaluerez ces documents, demandez-vous jusqu’à quel point la mort de Herbert Norman était une conséquence indirecte des jeux politiques de Washington, des jeux mortels dans lesquels les Canadiens n’étaient que des pions.

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