Le début de la guerre froide

Après la terreur de la Seconde Guerre mondiale, le monde a pu jouir d’une période d’accalmie… qui a duré précisément trois jours. Le 5 septembre 1945, un homme dans tous ses états s’est présenté à la rédaction du Journal d'Ottawa. Son accent russe était prononcé et personne ne pouvait vraiment comprendre ce qu’il disait. Mais une phrase était claire. « C’est la guerre, insistait Igor Gouzenko, c’est la guerre. » Et c’était la guerre. Pas la guerre avec les combats sanglants qui avaient presque détruit la moitié du monde, mais une guerre froide qui engloberait presque toute la planète.

Paraphrasant un proverbe populaire, si Gouzenko n’avait pas existé, les anticommunistes occidentaux auraient peut-être eu à l’inventer. Gouzenko était la bonne personne, au bon moment, avec le bon message. Il s'est enfui de l'ambassade soviétique à Ottawa où il travaillait au codage et au décodage des messages qui transitaient entre Ottawa et Moscou. Il devait notamment traiter les rapports émanant du réseau d'espionnage dirigé au Canada par les services secrets soviétiques, le Glavnoje Razvedyvatel’noje Upravlenije ou GRU. Lorsqu’il a appris en 1945 qu’il était rappelé en URSS, Gouzenko a pris la décision de passer à l’Ouest. Avant de quitter l’ambassade soviétique, il a caché dans sa chemise 109 documents clés sur le système d’espionnage de son pays afin d’augmenter sa valeur personnelle et de s’assurer d’être reçu par l’élite politique canadienne. Ces documents prouvaient, a déclaré Gouzenko aux rédacteurs du Journal d'Ottawa, que le monde n’entrait pas dans une période de paix, mais plutôt dans une nouvelle guerre.

En 1945, son message était musique aux oreilles de certains Américains. Mais ce n’était pas le type de mélodie que la majorité désirait entendre. Ayant survécu à la dépression et à la guerre pendant plus d’une décennie, elle priait pour un retour à la normale. L’opinion populaire sur l’Union soviétique était bien résumée par Carl Marzani dans son livre : We Can Be Friends [Nous pouvons être amis]. Cependant, Gouzenko était un sauveur pour ceux qui craignaient que l’Ouest ne retourne aux attitudes qui avaient cours en temps de paix et aux dépenses militaires de cette époque. Un espion soviétique avait la preuve qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Soviétiques. Son message voulant que la guerre soit imminente et que les Soviétiques en soient responsables est rapidement devenu la ligne de parti en occident. En mars 1948, le journal anticommuniste U.S. News and World Report a demandé à grands cris : « La Troisième Guerre mondiale est-elle à nos portes? ». Pour toute réponse, le journal proposait : « Cela dépend jusqu’où les Russes sont prêts à aller. »

Comme Gouzenko a choisi Ottawa pour passer à l’Ouest, l’hystérie collective sur les espions communistes a d’abord fait son apparition au Canada, puis aux États-Unis. En février 1946, quatre ans avant que le sénateur Joseph McCarthy ne devienne connu dans toutes les demeures américaines, le chef du Parti Crédit social du Canada, Solon Low, vociférait partout que la fonction publique fédérale était « complètement envahie » par les communistes et accusait le gouvernement libéral d’« extrême négligence ». Malgré cette rhétorique incendiaire, les structures politiques canadiennes ont empêché que ces politiciens ne se transforment en McCarthy du Nord. C’est aux États-Unis que la chasse aux rouges a causé un débordement qui a balayé le paysage politique.

L’étendue du phénomène maccarthyste aux États-Unis a été résumée par le journaliste de CBS, Edward R. Murrow, lors de la diffusion de See It Now du 9 mars 1954. Murrow a alors allégué que McCarthy avait « accusé les dirigeants civils et militaires de l'ancienne administration d'un vaste complot pour donner le pays aux communistes, qu’il avait fait enquête et gravement démoralisé le Département d’État [et] qu’il avait porté de nombreuses accusations d’espionnage » contre l’armée américaine. Les scélérats que pourchassaient les membres de la croisade maccarthyste étaient les membres de l’élite américaine, spécialement les membres du Parti démocrate, accusés d'être coupables de « vingt années de trahison », causant ainsi l’infiltration de communistes aux États-Unis.

Les enquêtes publiques mises sur pied par les comités du Congrès et les autres enquêtes qui ont eu lieu dans les différents états ont constitué la tribune la plus importante pour cette chasse aux sorcières. En réalité, McCarthy n’a présidé qu’un seul comité, le Sous-comité sénatorial d'enquête permanent [PSI — Senate Permanent Subcommittee on Investigations], qui a siégé en 1953 et 1954. Le Comité des activités antiaméricaines [HUAC — House Un-American Activities Committee] était plus connu, car en 1947, les acteurs, les réalisateurs et les scénaristes hollywoodiens ont été victimes des allégations selon lesquelles ils étaient des communistes ou des compagnons de route. Des vedettes ont alors été appelées à témoigner. En 1950, un troisième comité a été formé, le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis (SISS), et il avait pour mandat de scruter l’espionnage à l’intérieur des frontières américaines. Il est ironique que la performance de McCarthy comme président du PSI ait contribué à détruire sa carrière. En 1954, lorsqu’il a soulevé la question de l’infiltration communiste au sein de l’armée américaine, il a été vu comme « un handicap majeur à la cause de l’anticommunisme ». Cette année-là, le Sénat américain l’a blâmé. McCarthy est décédé peu après, le 2 mai 1957, à peine 28 jours après Herbert Norman. Mais la chasse aux sorcières a continué. De nombreux témoins ont été convoqués devant les comités d’enquête à travers les États-Unis. Ce n’est que dans les années 1960 que le phénomène politique connu sous le nom de maccarthysme a véritablement connu sa fin.

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