Les années 1930

À peine quelques semaines avant la chute du cours des actions à la bourse de New York en octobre 1929, les économistes, les dirigeants d'entreprise et les politiciens prédisaient une prospérité continue. Même lorsque les pertes augmentaient, certains politiciens refusaient de croire que le repli se prolongerait. Comme le disait une chanson populaire des années 1930, les jours heureux reviendraient bientôt [ Happy days would soon be here again. ]. Mais ces jours n’arrivaient pas. Il y avait des millions de chômeurs au Canada et aux États-Unis. Les prix payés aux fermiers en 1931 étaient la moitié de ceux payés en 1926. L’assistance sociale était dérisoire. En 1932, des familles canadiennes ne recevaient que 4 $ par semaine pour la nourriture alors qu’elles avaient besoin d’au moins 7 $.

Compte tenu de cette profonde misère, les attaques posées par la droite et la gauche politiques au capitalisme se sont intensifiées de façon spectaculaire. Par exemple, ce n’était pas un fauteur de troubles gauchiste qui, en 1934, a déclaré que les grandes corporations « mettaient les meilleurs cerveaux au service de la cupidité et de l’égoïsme. La population ne pourra pas en endurer beaucoup plus et un de ces jours, il y a aura un règlement de comptes. » Il s’agissait en fait du sénateur américain Harry. S. Truman, qui allait devenir président dix ans plus tard.

Au Canada et aux États-Unis, la Crise de 1929 a donné un nouvel élan aux partis communistes. Pendant la poussée économique des années 1920, ils étaient des acteurs politiques marginaux, faisant des sermons futiles sur la chute inévitable du capitalisme. Lorsque cet échec annoncé s’est matérialisé en 1929, la fortune du Parti communiste a monté en flèche contrairement à celle des investisseurs.

Même si on accuse souvent les intellectuels de vivre dans une tour d’ivoire, ils n’étaient pas aveugles face au carnage humain engendré par la Crise. Par exemple, un des meilleurs chercheurs américains de la période d’après-guerre, Richard Hofstadter, s’est joint au Parti communiste à l’Université Columbia à New York en 1938. Dans une lettre à son beau-frère, il a expliqué ce qui suit : « La raison fondamentale pour laquelle je suis devenu membre est que je n’aime pas le capitalisme et que je veux m’en débarrasser. » Il quittera le parti à peine quatre mois plus tard, mais en 1939 il disait encore « je déteste le capitalisme et tout ce qui vient avec. » Herbert Norman fera des déclarations similaires à son frère.

La chute du capitalisme a eu un double impact sur le plan international. Une des conséquences a été de faire de l’Union soviétique un nouveau centre d’intérêt et d’admiration. Des personnes, curieuses de voir le socialisme en action et d’autres qui voulaient contribuer à bâtir la mère patrie socialiste, se sont rendues en URSS. Après une telle visite, le journaliste de la presse à scandales américaine, Lincoln Steffens, a capturé l’essence de l’espoir incarnée dans cette nouvelle société et a dit « Je suis allé dans le futur et ça marche ».

Un autre mouvement politique international a pris naissance dans les années 1930 : le fascisme. Dans les années 1920, c’était un système qu’adorait l’élite européenne, car il pouvait être efficace et savait inculquer la discipline aux travailleurs qui recherchaient la provocation. Jusqu’à la Crise de 1929, le fascisme n’existait qu’en Italie. En 1933, un deuxième pays européen, et non le moindre, est devenu fasciste. Lorsque Adolf Hitler a pris le pouvoir en Allemagne en janvier 1933, bien des gens ont compris qu’il prônait un virage dangereux. Hitler proclamait ouvertement la fin de la démocratie. Un peuple, un chef, une seule voix. Tolérance zéro pour la dissension. Il y eut rapidement de la pression pour amener les pays voisins sous la bannière nazie et des mouvements sympathisants sont descendus dans la rue, même dans un pays comme la Grande-Bretagne avec de longues traditions démocratiques. Le Canada comptait aussi sa part d’admirateurs d’Hitler. Certains ont tenté de faire descendre leurs opinions politiques dans la rue. D’autres sont restés bien au chaud dans les salles de conseil et les corridors gouvernementaux.

Lorsqu’il a été interrogé par la GRC en 1952, Herbert Norman a déclaré qu’Hitler avait été « l’impact le plus important » qu’il avait ressenti pendant ses années d’études à Cambridge dans les 1930. Le fascisme, disait-il, « m’a secoué ». Pour les gauchistes, l’émergence du fascisme n’était pas une surprise. Quant à la classe capitaliste, confrontée à la mort du système qui lui avait procuré richesse et puissance, elle se battra pour garder ses privilèges. Ainsi, les états capitalistes se tourneront de plus en plus vers la force pour régner. Ce virage était évident en juillet 1936 lorsque des officiers militaires espagnols menés par le général Francisco Franco ont dirigé un coup d’état pour renverser le gouvernement élu de leur pays. Les gauchistes du monde entier se sont ralliés pour préserver la démocratie en Espagne. Plus de 40,000 volontaires dans 70 pays s’y sont rendus, donnant souvent leur vie pour empêcher qu’un autre pays tombe aux mains des fascistes. De loin, des millions d’autres personnes, dont Herbert Norman, ont suivi les évènements de la guerre civile, tour à tour réconfortés par le courage de leurs camarades, consternés par l'étendue de la violence fasciste et dévastés par la culpabilité d’avoir choisi de rester en dehors de l’arène.

Plusieurs Canadiens n’ont pas eu à se rendre en Espagne pour connaître la répression violente. Les officiers de la GRC ont tiré sur des travailleurs à Estevan et Regina, en Saskatchewan. Les policiers de Vancouver et de nombreuses autres villes ont matraqué des manifestants. Le premier ministre le plus impopulaire du vingtième siècle, R. B. Bennett, surnommé « Talon de fer », a utilisé une loi extraordinaire, la section 98 du Code criminel, pour poursuivre et emprisonner les chefs du Parti communiste. La province de Québec s’en est aussi mêlée. Sa Loi du cadenas permettait aux policiers de fermer les résidences et les entreprises qui servaient à faire la promotion du communisme. Aux États-Unis, la répression violente des grévistes dans les usines des industries de l’automobile et de l’acier était monnaie courante. Puis, en 1940, le gouvernement américain a édicté la Loi Smith qui rendait criminelle l’appartenance à un parti qui préconisait le renversement du gouvernement par la violence. Cette loi sera particulièrement utile lorsque viendra le temps d’emprisonner les communistes dans les années de la guerre froide.

Cette section contient des documents qui traitent des années 1930. Ceux qui ont vécu cette décennie se disent chanceux d’avoir survécu, mais en ont tous été profondément marqués.

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