L’opinion de Norman sur les fonctionnaires canadiens de l’immigration

[ Norman and parents ]

Norman et ses parents, Inconnu, 1925, University of British Columbia Library, Rare Books and Special Collections, BC 2124-08, Norman, 16 ans, son père, Daniel, et sa mère, Catherine

106, 15e Avenue Ouest, Calgary 11 avril 1927

Chers Howie et Grace,

Maman vous avait déjà écrit une lettre qui était prête à partir cet après-midi, mais je lui ai dit que je voulais y inclure quelque chose; et comme nous étions en train de souper, voilà tout à coup qu’arrive une lettre de Howard, alors j’ai le temps d’y répondre avant que maman ne poste sa lettre vers l'Est.

J'aurais vraiment aimé vous écrire avant, mais je n'étais pas préparé à toutes les éventualités et lorsque le Dr Baker m'a ordonné de garder le lit pour une semaine, je n'ai même pas pensé à dicter une lettre. Je commencerai donc par le début, ou plutôt là où j’ai terminé la dernière fois, c’est-à-dire quelque part sur l’océan Pacifique, long. 161 est et lat. 38 1/2 ou à quelques centaines de milles de là.

Nous avons vu la Mère Patrie [Victoria, C.-B.] pour la première fois tôt le dimanche matin, 26 mars, et ce dimanche a été le plus païen des sabbats de toute ma vie : nous avons subi une série de longues entrevues avec l’immigration, la même chose avec les douanes, nous avons fait et défait nos bagages, donné des pourboires, eu chaud, nous avons calculé et couru. À cause d’une soi-disant « loi » qui date de l’ancien temps et que personne ne connaît, un orgueilleux, zélé, suffisant, grande gueule, bigot, aux mains sales, au langage ordurier, insolent, irrationnel fils de Japheth (une honte pour Japheth), poliment nommé un agent d’immigration, m’a informé (mais pas de manière polie) que ma naissance au Japon (moue de dédain), un acte presque criminel, m'empêchait de réclamer le statut de sujet britannique et que j'étais donc considéré comme un immigrant. Bien sûr, maman n’a pas eu à subir d’autres contre-interrogatoires, mais j’ai dû attendre mon tour avec les hordes d’Hindous, de Chinois et autres pour passer mon examen médical, etc. Je me suis cependant consolé avec le fait que la tête de coq, l'animal à deux pattes dont il a été question plus haut, s'est pratiquement étouffé et s’est donné une extinction de voix en hurlant et en criant après un homme de s’avancer, à un autre de se la fermer, à l’autre de s’asseoir et à l’autre d’aller au di---le, mais son dernier ordre était normalement murmuré parce que les officiers et les docteurs étaient à portée de voix. Heureusement pour moi, les files d’immigrants s’étaient considérablement réduites avant mon arrivée. Mon examen a simplement consisté à leur dire que j’avais connu 17 printemps, que j’avais déjà eu les maladies qu’ils voulaient, telles la rougeole, la rubéole, les oreillons et toutes ces maladies d’enfants, que je n'avais jamais été opéré pour l'appendice, que oui j'avais l'intention de vivre au Canada mais que je ne pouvais dire si j'avais l'intention d'y mourir, et aussi que j’étais de race blanche – je me souviens très bien de m’être lavé le visage ce matin-là. Le médecin a tenté de faire quelques blagues faciles au sujet de mon lieu de naissance inhabituel puis il m'a renvoyé.

L’horrible défi suivant a été de passer à travers les douanes, où un gars avec un nez fin et curieux (magnifique nez auquel j’aurais volontiers donné un bon coup de poing) a fouiné dans tous les recoins de ma valise et de mon sac de voyage et s’est même permis de défaire mes chaussettes pour les renifler avec dédain. Il nous a fait casquer $6.40 pour nos vêtements de soie, mais il avait encore l’air de penser que je cachais de l’opium dans mes manches; puis, après avoir tout défait comme si un cyclone était passé et fait tomber mes brosses par terre d’un côté de la barrière et une cravate et un ou deux livres de l’autre côté, il nous a envoyé promener. Après, cela a été la folie pour refaire mes valises, mais étrangement, ou bien ma valise avait rapetissé ou bien je me suis retrouvé avec les affaires de quelqu’un d’autre, mais ma valise ne refermait plus. J'ai tout essayé pour la fermer, j’ai tassé le contenu, proféré des injures assez bénignes et puis poussé les hauts cris; j’ai finalement pris les grands moyens et j’ai empoigné la brute (la valise) et j’ai commencé à la brutaliser, à marcher dessus, à lui taper dessus, à l’écraser, ce qui a semblé lui faire entendre raison; après avoir essoré mon mouchoir et aéré ma tête, nous avons pu traverser la barrière pour enfin nous calmer sur le quai pendant une belle demi-heure jusqu'à ce que Mme Ramsey amène maman et que je parte avec Tom. Heal.

Source: University of British Columbia Rare Books and Special Collections, Norman Family Fonds, Box 1, File 1-5, E. Herbert Norman, L’opinion de Norman sur les fonctionnaires canadiens de l’immigration, 11 avril 1927

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