M. Pearson a des problèmes

Ce n’est pas de gaieté de cœur que ce journal a décidé, vendredi dernier, de souligner les différences trouvées dans deux déclarations de M. Lester Pearson, celle du 10 avril (répétée le 12 avril) où le ministre des Affaires extérieures niait que les renseignements utilisés pour salir la réputation de feu Herbert Norman provenaient d’une source canadienne quelconque et celle du 17 avril où il admettait qu’une partie, au moins, de ces renseignements provenait de la Gendarmerie royale du Canada.

En guise de réponse, M. Pearson nous dit que ce n’est qu’après le 12 avril qu’il a appris qu’un rapport de la GRC datant de février 1940 avait été envoyé au gouvernement américain en octobre 1950, que ce rapport s’était retrouvé entre les mains du Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis qui l’avait utilisé en 1951 et une autre fois en 1957 pour étiqueter M. Norman de communiste.

Sur la foi des explications de M. Pearson, nous avons publié cette information telle qu’elle nous a été transmise le samedi, mais avec autant de regrets que lorsque nous avions rédigé l’éditorial qui demandait ces explications. Car si on lit entre les lignes, la lettre du ministre des Affaires extérieures décrit ce dernier comme une victime, tout comme l’a été M. Norman, de l’inefficacité et de la mauvaise gestion de son gouvernement.

L’importance du rapport de février 1940 ne réside pas simplement dans la façon dont il a été préparé (par un « agent secret ») ni dans son inutilité absolue (lorsqu’il a été finalement vérifié, pas un mot n’était vrai); il faut tenir compte aussi de la date à laquelle il a été écrit. À l’instar de plusieurs Canadiens qui se souviennent, même vaguement, ce journal lui se souvient avec exactitude que, pendant les années du milieu de la guerre, plusieurs évènements assez choquants se sont produits sous un soi-disant gouvernement libéral et sous des soi-disant ministres de la Justice. Au nom de la « sécurité », un nombre incalculable de personnes ont été faussement accusées d’être favorables aux communistes ou aux fascistes, en plus d’être internées et dépossédées.

Après la guerre, la décence la plus élémentaire aurait été de détruire tous les rapports de sécurité dressés par la GRC durant cette période méprisable et hystérique. Lorsqu’on voit dans quelle position le gouvernement se retrouve, cela aurait été une marque de sagesse. Car il s’agit d’un rapport, ou plutôt d’un tuyau, conservé par la GRC de 1940 à 1950 qui a provoqué, comme quiconque peut en juger, la fin tragique de l'ambassadeur canadien en Égypte.

Il semble incroyable qu’un tel document, qui prétendait traiter d'un jeune employé avec un avenir prometteur dans les services étrangers canadiens, soit resté dans les fichiers de la GRC pendant dix longues années sans que le ministère des Affaires extérieures soit au courant; il est aussi incroyable que personne n'ait vérifié l'exactitude du rapport; et le plus incroyable de tout cela, c’est qu'aucune vérification n'ait été faite avant qu'il soit refilé au FBI à Washington.

Mais des choses incroyables peuvent arriver, elles sont arrivées, et trop souvent à un gouvernement devenu arrogant et irresponsable après de trop nombreuses années passées au pouvoir.

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Source: Editorial, "M. Pearson a des problèmes," Globe and Mail, 22 avril 1957

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