Rapport de la GRC sur Egerton Herbert Norman

1er décembre 1950

ULTRA SECRET

[ RCMP Superintendent George B. McClellan ]

George B. McClellan, surintendant de la GRC, Inconnu, Royal Canadian Mounted Police

À : [nom de l’organisme supprimé en vertu de la Loi d’accès à l’information, mais il est évident que cela a été envoyé au FBI]

Objet : Egerton Herbert NORMAN

Ceci donne suite à notre note de service du 17 octobre 1950 au sujet d’Egerton Herbert NORMAN.

2. Depuis que nous vous avons écrit à cette date, nous avons procédé à une enquête approfondie avec l’aimable assistance de [supprimé]. Nous pouvons maintenant vous informer que l'étape finale est terminée et nous sommes heureux de vous transmettre un résumé pour les dossiers de [supprimé].

3. Il va sans dire que lorsque le ministère des Affaires extérieures a reçu des renseignements de sécurité sur E. H. NORMAN, ce dernier a été immédiatement rappelé de son poste comme chef de la Mission de liaison canadienne à Tokyo. À son arrivée, NORMAN a reçu un congé pour la durée de l’enquête qui était déjà commencée.

4. Pendant cette période, la force policière a utilisé toutes les sources disponibles, incluant des méthodes spéciales d’enquête. Cependant, avant de résumer la preuve, il est opportun de faire une évaluation de la personnalité de NORMAN car cela est essentiel afin de comprendre ce qui suit. En effet, sans une évaluation, il serait difficile d'arriver à une décision. Nous avons suivi la vie de NORMAN dans le but de trouver la réponse. Nous avons aussi eu l’occasion de l’interroger en détail. Inconsciemment, il a été soumis à d’autres méthodes, de façon à pouvoir faire une évaluation impartiale.

5. Tout au long de sa carrière universitaire, NORMAN a été un chercheur de grande réputation. En 1933, il a obtenu un diplôme en lettres classiques avec mention de l’Université de Toronto. Il a obtenu un deuxième diplôme à Cambridge, en Angleterre, et un troisième à l’Université de Toronto. Après avoir reçu une bourse Rockefeller, il a étudié à Harvard. La dernière partie de ces études universitaires a porté sur l’Extrême-Orient et il a été reconnu internationalement comme une des sommités occidentales sur l’histoire de l’Extrême-Orient. Il a gardé son approche scientifique et, bien que son champ d’études principal était l’Extrême-Orient, il est évident que sa curiosité intellectuelle l’a mené à étudier l’histoire et les idées de l’Occident.

6. NORMAN est au ministère des Affaires extérieures depuis plus de dix ans et il est classé comme un des meilleurs fonctionnaires du Ministère. Il a obtenu plusieurs postes au Ministère et, en 1946, il a été nommé chef de la Mission de liaison canadienne au Japon.

7. Tel que mentionné plus haut, bien que NORMAN ait atteint de hauts niveaux intellectuels et qu’il soit un fonctionnaire apprécié aux Affaires étrangères, il manque manifestement de perspicacité lorsque vient le temps de porter un jugement sur les individus. C’est là qu’il y a une faiblesse, si cela peut être décrit comme tel. À tout le moins, cela est une faculté sous-développée chez NORMAN. Bien qu’il ait été astucieux dans son choix de sujets d’étude, il est évident qu’il a démontré une grande naïveté dans ses relations avec les hommes. En d’autres mots, son évaluation de ses relations sociales a souvent été erronée, jugeant ceux qui l'intéressaient par leur apparence sans prendre conscience de leurs idéologies. Il est évident que son appréciation d'une personne était basée sur la personnalité qu’elle laissait paraître. Ainsi, si quelqu’un était intéressant, NORMAN l’acceptait sans poser aucune question.

8. Il est évident que cette partie sous-développée de la personnalité de NORMAN explique en partie son association avec les gauchistes. Pour compléter cette explication, il y a la nécessité de s’associer avec des personnes, souvent gauchistes, qui connaissaient l’Extrême-Orient.

9. C’est à Harvard que NORMAN a d’abord rencontré Shigeto Tsuru, l’économiste japonais. Alors qu’il faisait des études sur l’Extrême-Orient, NORMAN a appris que Tsuru avait une bibliothèque personnelle considérable sur l’histoire du Japon et sur d’autres sujets connexes. Avoir accès à cette bibliothèque l’aiderait dans ses études. C'est ainsi qu’ils se sont fréquentés. NORMAN ne se souvient pas de Tsuru comme étant marxiste, ce qui est montré dans la correspondance [3 lignes supprimées]. Le fait que NORMAN n’ait pas conclu que Tsuru était marxiste constitue selon nous un des nombreux exemples de sa naïveté alors qu’un autre chercheur qui connaissait Tsuru au même moment l’a tout de suite identifié comme un économiste marxiste. Ce même chercheur se souvient de discussions durant la période où Tsuru était présent et pourtant il affirme catégoriquement que rien n’était dit qui aurait laissé croire que ces discussions servaient d'endoctrinement au marxisme. NORMAN se souvient également de discussions, mais ne peut les identifier comme étant de nature marxiste.

10. Bien que la correspondance de Tsuru indique clairement que des cercles d’étude étaient formés à la fin de 1936 et au début de 1937, elle n'indique pas que NORMAN en était un membre. NORMAN nie avoir été membre d’un cercle d’étude, mais il se souvient de rencontres où participaient un petit nombre d’étudiants aux études supérieures et des jeunes membres du personnel et où se discutaient des sujets variés. Il ajoute qu’il aurait refusé toute adhésion à un groupe organisé pour deux raisons. La première explication concerne ses études en histoire de l'Extrême-Orient qui occupait la majeure partie de son temps. L’autre est en lien avec le communisme. NORMAN affirme qu’il avait lu et entendu exprimer les théories de Marx, de Lénine et de Trotsky non seulement à Harvard, mais également aux universités de Toronto et de Cambridge. À cette époque, on ne prévoyait pas encore la fin de la dépression et NORMAN étudiait différentes théories politiques ainsi que leurs applications pour trouver un remède à la situation. Au moment où il est arrivé à Harvard, il affirme qu’il en était arrivé à la conclusion que le communisme n’était pas la réponse aux problèmes du monde.

11. NORMAN a rencontré Tsuru et lui a parlé à plusieurs reprises pendant ses études à Harvard. Après son départ pour New York, il ne l’a rencontré que rarement, puis ils se sont revus en 1942 dans des circonstances fort différentes. En 1940, NORMAN était en poste à Tokyo où il est resté pendant deux ans, dont la dernière partie dans un camp d’internement. Il a été rapatrié en 1942 dans un échange qui s’est fait dans un pays portugais d’Afrique de l'Est. Il venait de débarquer lorsqu’il a vu Tsuru (qui était alors rapatrié au Japon) s’approchant de lui en le saluant. Lors d’une brève conversation, Tsuru a offert sa bibliothèque personnelle de Harvard à NORMAN et lui a suggéré de contacter un certain [supprimé], un ancien économiste de Tufts travaillant à la Wartime Production Board [Commission de production en temps de guerre] à Washington. Ce que NORMAN a fait. Puis, il est allé à Harvard et a commencé ses recherches pour trouver cette collection qui était dispersée à différents endroits de l’université. (Sans aucun doute, cette portion avait déjà été réclamée par [ligne supprimée] « Shigeto Tsuru » ou Tsuru avait offert la même collection à plus d'une personne.) Quoi qu’il en soit, NORMAN prétend qu’il ne savait rien du contenu de l’appartement de Tsuru et qu’il s’était simplement rendu à cette adresse, comme les autres, pour tenter d’assembler la bibliothèque personnelle qui lui avait été promise. Il confirme en grande partie la discussion avec [supprimé] mais avec certaines variantes. Mais elles sont minimes et ne demandent aucune explication additionnelle. Il est confirmé qu'à cette époque NORMAN était en mission spéciale pour le gouvernement canadien et que cette mission concernait également les autorités américaines. La bibliothèque personnelle de Tsuru aurait représenté un atout important dans cette tâche. Cependant, NORMAN affirme que son intérêt dans cette bibliothèque avait deux objectifs, il la voulait autant pour son travail que pour la poursuite de ses études en histoire du Japon. En fait, il a encore de l’intérêt pour cette bibliothèque et il a noté que ce que [supprimé] a en sa possession est quelque chose d’un autre ordre. Il fonde ses raisons sur le fait que la bibliothèque à laquelle il fait référence est entièrement en langue japonaise et bien qu'elle contienne probablement quelques livres japonais sur le marxisme, ces livres ne reflètent pas le caractère de cette bibliothèque personnelle. Il ne pouvait accepter la déclaration de votre [supprimé] que la bibliothèque était principalement communiste puisque la collection de livres qui l'intéressait était en japonais et traitait surtout de l'histoire du Japon.

12. À son retour au Japon en 1946, NORMAN a rencontré Tsuru et a mentionné qu’il n’avait pu obtenir sa bibliothèque personnelle pour les raisons déjà mentionnées. Il dit que Tsuru lui a parlé d’une histoire concernant [supprimé], un autre Japonais, que vous connaissez déjà.

13. En jumelant le rapport de [supprimé] que nous avons avec les renseignements provenant de sources indépendantes et les explications de NORMAN, nous sommes entièrement convaincus que ses demandes pour obtenir la bibliothèque ne concernaient aucunement la documentation et la correspondance communistes trouvées dans l’appartement de Tsuru. Nous sommes également convaincus que sa revendication de cette bibliothèque était basée sur les motifs déjà exprimés.

14. Pendant son premier séjour à l’Université de Toronto, NORMAN a rencontré Israël Halperin qui à cette époque étudiait les mathématiques. Ils habitaient un en face de l’autre dans le même corridor et partageaient la même salle de bain. Lors d’une conversation, il a appris que Halperin partageait son intérêt pour la musique, même si selon lui, Halperin utilisait une approche non conventionnelle. À part les mathématiques, NORMAN déclare [supprimé]. En matière de politique, il le considérait comme un socialiste, jamais comme un communiste et il a été réellement étonné d’apprendre l’implication de Halperin dans les affaires d’espionnage. Nous considérons que cette affirmation est confirmée dans le document cité en page 48 du rapport de la Commission royale d’enquête dans lequel Lunan rapporte à Rogov que Halperin « ne portait absolument aucune affiliation politique ». NORMAN affirme de plus qu’après son départ de l’Université de Toronto, il n’a pas revu Halperin jusqu’à ce qu’ils se rencontrent de nouveau à Harvard. Puis, ils se sont rencontrés à Ottawa et se sont vus à l’occasion. NORMAN affirme cependant qu'ils ne sont restés que des connaissances comme dans le passé. Il s’est montré surpris que son nom apparaisse si souvent dans le calepin, bien qu'il ait dit qu'il n'aurait eu aucune raison de ne pas donner son adresse à Halperin si ce dernier lui en avait fait la demande. [ligne supprimée] (L’examen du calepin confirme manifestement cette théorie.) De plus, Norman dit ne pas se souvenir avoir consigné les adresses de Halperin puisque ce dernier n’a jamais été un ami proche et que leurs rencontres sociales étaient peu nombreuses. En d’autres mots, ils avaient peu d’intérêts communs et donc rien ne les attirait l’un vers l’autre. Nous sommes convaincus que NORMAN ne savait rien des activités secrètes d’espionnage de Halperin.

15. Veuillez maintenant vous référer au témoignage de Gouzenko sur un certain « NORMAN », témoignage que vous connaissez déjà. Selon nous, le « NORMAN » dont il est question est fort probablement nul autre que E. H. NORMAN. La preuve a été soigneusement étudiée et l’affaire soumise à la source initiale. Bien que l’identité de « NORMAN » ne sera jamais définitivement connue à partir des renseignements que nous possédons en ce moment, nous pensons qu’il n’est pas impossible que Moscou ait eu l’intention de l’entretenir de la manière décrite à la page 50 du rapport de la Commission royale d'enquête. Brièvement, certains membres du personnel gouvernemental qui avaient accès à des renseignements intéressants pour la Russie étaient choisis comme cibles, probablement à partir de renseignements fournis par un de leurs agents recruteurs. Ne connaissant pas leurs idéologies politiques, ou même leurs origines, ils tentaient d’obtenir ces renseignements par le biais de conversations soi-disant innocentes et informelles. La source potentielle n’était jamais consciente de cette approche ou ignorait que son nom était ainsi utilisé.

16. Nous croyons que c’était le cas pour NORMAN. Non seulement avait-il un poste intéressant pour les Russes, mais il était invité aux réceptions officielles et aux fêtes dans les résidences avec d’autres membres du personnel du ministère et où un Russe était toujours la vedette, probablement à dessein. Ainsi, NORMAN a rencontré Pavlov (N.K.V.D.) et ce dernier a réussi à lui parler à plusieurs occasions. Il n’est pas impossible que Pavlov ait été le recruteur et qu’il ait donné le nom de NORMAN à Moscou. De toute façon, il est évident qu’ils ne savaient presque rien sur NORMAN, car Moscou n’a donné aucun détail à Zabotin. NORMAN avait rencontré Zabotin à des réceptions, mais il est évident qu’il n’en a aucun souvenir. Selon les preuves que nous possédons, nous pensons que NORMAN n’a jamais été formé, consciemment ou inconsciemment, par les Russes, si la requête de Russie faisait en fait référence à E. H. NORMAN. [Note en marge – Piètre hypothèse si on se souvient des réseaux parallèles décrits dans le rapport de la Commission royale d'enquête. C’est le GRU qui a demandé si « Norman » était connu, et non le NKVD.]

17. Veuillez maintenant vous référer au paragraphe 5(b) de la note de service déjà mentionnée. Nous avons procédé à une enquête approfondie sur l’information initialement donnée par notre agent secret et nous sommes arrivés à la conclusion que l’information est soit une erreur d’identité ou une rumeur non fondée par une source dérivée non identifiée. Parmi les nombreux points soulevés à l’époque, nous avons déterminé avec certitude que la majorité était erronée. Celles qui restaient n’ont pas été confirmées ou il n'y aurait pas de réponse disponible. La source ne se souvient pas de l’affaire. Nous avons donc effacé les références qui concernent NORMAN.

18. Nous avons entrepris des actions similaires en ce qui concerne les renseignements fournis par la source au paragraphe 5(f). Il a été confirmé que M. et Mme NORMAN n’étaient pas présents au dîner en question. La source, après avoir été de nouveau questionnée, a admis l’erreur et retire son affirmation initiale. Nous retirons donc cette affirmation du dossier.

19. Nous allons maintenant parler brièvement des autres personnes mentionnées dans le même paragraphe. Dans cette affaire, nous avons reçu des explications satisfaisantes dans chaque cas. [supprimé] est considéré loyal à la suite d’une rencontre directe avec l’époux. L’ambiguïté sur la relation entre les NORMAN, [supprimé] a été clarifiée à notre satisfaction.

20. NORMAN a été questionné sur son association avec [supprimé] mentionnée au paragraphe 5(a) de la note de service. Il se souvient bien avoir rencontré [supprimé] qui était à l’époque un [supprimé] affecté à la Commission d’information en temps de guerre, une agence du gouvernement canadien. Il dit n’avoir rencontré [supprimé] qu’en quelques occasions, qu’il le connaissait peu et qu’il ne savait rien de son idéologie politique. Nos dossiers démontrent que pendant l'affectation de [supprimé] au [supprimé], il n'a démontré aucun intérêt dans le communisme lorsqu'il a eu des conversations informelles avec le [supprimé] de sécurité. Selon certaines opinions, il a été dit qu’il s’était assagi et que [supprimé] lui plaisait. En fait, il pourrait être comparé à [supprimé] comme étant quelqu’un qui ne montrait aucun signe extérieur qu’il opérait dans la clandestinité. Nous pensons que les explications de NORMAN sur sa relation avec [supprimé] sont sincères.

21. Nous passons maintenant à l’adresse indiquée au paragraphe 6(b) provenant du calepin de Halperin. NORMAN se souvient vaguement avoir résidé sur la rue Charles pour une très courte période au début de ses études à l'Université de Toronto. À propos, la rue Charles est dans le quartier avoisinant l’université. Le 108 rue Charles était une résidence à cette époque. Il n’y a aucun besoin d’accorder de l’importance à cette référence.

22. NORMAN identifie [supprimé] comme étant quelqu’un qu’il a d’abord connu alors qu’il était un jeune garçon au Japon et ensuite étudiant à l’Université de Toronto. Il le décrit comme étant [supprimé] à l’époque. Il a rencontré Holmes plus tard à Ottawa et l’a vu à plusieurs reprises, mais comme ils vivaient à des endroits passablement éloignés dans la ville, leurs activités sociales étaient très limitées. NORMAN affirme que [supprimé] et il ne connaît pas non plus l’idéologie politique de son frère, [supprimé].

23. Notre enquête, bien que basée sur des renseignements que nous vous avons déjà fournis, s’est étendue au fur et à mesure de son évolution. Cependant, aucune preuve n’a été découverte qui pourrait indiquer que NORMAN aurait été déloyal. La pire conclusion à laquelle nous pouvons arriver est son apparente grande naïveté dans sa relation avec les humains.

24. Un rapport complet sur nos conclusions a été remis au ministère des Affaires extérieures et approuvé par ce dernier. Ci-joint copie d’une lettre de ce ministère qui se passe d’explications.

25. Nous vous demandons de restreindre l’information qui vous est transmise sur cette affaire pour usage exclusif de [supprimé].

(T.M. Guernsey), S/Inspecteur,
pour l’officier responsable de la Division spéciale

Pièce jointe

Source: Library and Archives Canada, Security Intelligence Service, Access to Information Request, File 117-89-109, T.M. Guernsey, RCMP Inspector, Rapport de la GRC sur Egerton Herbert Norman, 1 décembre 1950

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