Une pierre tombale érigée en l’honneur de l’inconnu de Meteghan

Par Brian Medel, Yarmouth Bureau

Meteghan—Certains déclarent qu’il a été le premier à bénéficier de l’aide sociale au Canada. D’autres préfèrent se rappeler de l’homme sans jambes, connu seulement sous le nom de Jérôme, comme d'un aristocrate qui s’était fait mutiler, possiblement par des pirates, avant d’être abandonné sur une plage rocailleuse de l’isthme de Digby.

Une imposante pierre tombale portant le nom de Jérôme a été inaugurée mardi dans le cimetière de la paroisse de Meteghan, là où l’inconnu a été enterré en 1912 après avoir vécu presque toute sa vie parmi les Acadiens.

« Dans ce temps-là, la plupart des monuments commémoratifs étaient en bois et ne résistaient pas longtemps », dit Jean Doucet, président de la Société historique acadienne de la baie Sainte-Marie. La société a acquitté les coûts du monument, qui comprend une plaque avec la seule photo connue de Jérôme et un bref historique de sa vie en français et en anglais.

Le 8 septembre 1863, un inconnu au teint clair que l’on croyait être dans la vingtaine a été trouvé par deux pêcheurs à Sandy Cove, dans le comté de Digby. Les deux jambes de l’homme avaient été amputées récemment. Une carafe d’eau et du pain avaient été déposés près de lui.

L’homme ne pouvait pas ou ne voulait pas parler et on dit qu’il n’a prononcé que deux ou trois mots après qu’on l’ait retrouvé. L’un des mots que l’on croyait l’avoir entendu prononcer était « Jérôme », et on l’a baptisé ainsi par la suite.

Un étrange navire à voiles avait été aperçu dans la baie Sainte-Marie durant la journée et la soirée précédant la découverte de Jérôme. Certains croient qu’il s’agissait d’un navire de guerre espagnol.

Les mains de Jérôme n’étaient pas calleuses et ses vêtements avaient été taillés dans du tissu fin. Bien des hypothèses ont été émises d’un bout à l’autre de la baie, laissant croire à plusieurs que l’homme avait pris part à une mutinerie et qu’on l’avait puni en l’amputant. D’autres ont suggéré qu’il avait été jeté par-dessus bord d’un bateau pirate. La plupart, toutefois, croyaient qu’il était l’héritier d’une fortune et qu’il avait été mutilé et laissé sur la plage par une autre personne voulant s’approprier son héritage.

Aucune de ces histoires n’a jamais été prouvée.

« Je crois que le scénario le plus probable n’est pas le plus romantique », déclare Germaine Comeau, dramaturge primée dont la pièce de théâtre Le Retour de Jérôme écrite en 1976, a été adaptée pour la radio et a remporté un prix remis par Radio-Canada en 1987.

Deux ans avant la découverte de Jérôme, un homme avait été retrouvé coincé sous un arbre au Nouveau-Brunswick. Ses deux jambes étaient gelées et avaient dû être amputées par un médecin de Gagetown situé aux abords du fleuve Saint-Jean. L’inconnu, que l’on croyait être européen, a été amené à St. John et mis à bord d’un bateau. Quelques personnes croient qu’on l’aurait abandonné à l’isthme de Digby.

« Selon moi, il s’agit du plus probable [scénario] », estime Mme Comeau.

« Mais pourquoi l’auraient-ils laissé à Sandy Cove, par contre, je n’en ai aucune idée. »

De plus, le bateau duquel on l’aurait débarqué était en effet très étrange, selon ce qu’a affirmé un pêcheur de l’endroit.

« Il s’agissait d’un bateau différent de ceux qu’ils avaient l’habitude de voir à cette époque », explique Mme Comeau.

Peu après qu’on l’ait retrouvé à l’isthme de Digby, Jérôme a été amené chez Jean-Nicolas, un Corse, et sa femme Juliette, à Meteghan, de l’autre côté de la baie.

M. Nicolas, qui parlait couramment cinq langues, n’a jamais réussi à avoir une conversation avec Jérôme.

« Lorsque j’ai effectué mes recherches, tous les articles racontaient qu’il avait dit trois… mots », dit Mme Comeau.

« Un qui ressemblait à « Jérôme »… et ils lui ont demandé d’où il venait et il aurait apparemment répondu « Trieste ». C’est en Italie. Et il y a aussi « Columbo ». Il aurait dit « Columbo ». C’était peut-être le nom du bateau qui l’avait amené. »

En 1870, le gouvernement provincial a confié Jérôme aux soins de Didier et Élizabeth Comeau de Saint-Alphonse, où il a vécu les 42 dernières années de sa vie. Le gouvernement versait 104 $ par année pour subvenir à ses besoins.

« Il devenait apparemment enragé lorsque certains mots étaient prononcés », déclare Mme Comeau. « Pirate » était l’un de ceux-là.

« Tout le monde croyait qu’il avait un secret. Qu’il savait quelque chose et qu’il ne pouvait pas le dire. »

Jérôme est décédé le 19 avril 1912, quatre jours après que le Titanic ait sombré.

Source: Brian Medel/Yarmouth Bureau, "Une pierre tombale érigée en l’honneur de l’inconnu de Meteghan," The Halifax Chronicle Herald, 16 août 2000.

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