Chapitre XIV

Une énigme canadienne -- Jérôme

JÉRÔME A ÉTÉ L’HOMME le plus mystérieux dans l’histoire maritime canadienne. Les légendes à son sujet ont été nombreuses et variées, mais la vérité, même lorsqu’elle était connue, était soigneusement évitée. Les légendes ne mêlent pas nécessairement la vérité et le fantastique, et la légende que je raconte ci-après en est un exemple typique. Mais, puisque après la légende je raconterai la vérité comme jamais auparavant on ne l’a racontée de façon aussi exhaustive, le lecteur, en comparant les deux, pourra tirer ses propres conclusions. Soit dit en passant, Jérôme est souvent écrit « Gerome », mais j’utiliserai ici la première graphie.

1re Partie – La Légende

Au cours de la guerre de Sécession, Jérôme est membre d’une importante famille italienne qui s’est attiré les foudres de la mafia*. Jérôme est forcé de quitter le pays. Attrapé par la mafia clandestine alors qu’il se trouve au Nouveau-Brunswick, Jérôme est sur le point d’être tué lorsqu’il finit par obtenir, à force de supplications, un répit partiel de la part des chefs de l’organisation, qui décident de ne pas le tuer mais plutôt de le laisser totalement infirme en lui coupant les deux jambes. Ils lui racontent leur plan et l’obligent au secret éternel en le menaçant, puis font appel à un ancien chirurgien de la bande qui pratique l’amputation avec grand succès en coupant ses membres juste en dessous des hanches. Après avoir habilement recousu les plaies, le chirurgien déclare que la victime n’a pas subi de traumatisme et qu’il est en état de voyager, après quoi les membres de la bande le mettent sur un bateau et partent vers la Nouvelle-Écosse où ils projettent de l’abandonner sur une plage déserte quelque part le long de la baie de Fundy.

Et c’est ainsi que, selon la légende, des pêcheurs aperçoivent au large de l’isthme de Digby un bateau qui ressemble à une canonnière, entrer dans la baie et longer la côte. La brume, qui menaçait depuis un bon moment, se lève alors et on ne revoit plus la canonnière.

Au matin, le bateau a disparu. Vers midi, un pêcheur s'approche de Sandy Cove, à la recherche d’éléments inhabituels puisqu’il a vu le bateau étrange la veille et est certain que quelque vile chose se passe. Mais à première vue, il n’y a rien d’extraordinaire et il est sur le point de s'éloigner, lorsque soudain quelque chose attire son attention.

La chose semble s’être déplacée un peu, mais elle est encore trop loin pour être identifiée. Le pêcheur se demande s’il doit ou non s’y rendre et mener sa petite enquête. Finalement, sa curiosité l’emporte sur son hésitation et il met les voiles en direction du rivage de Sandy Cove. Il comprend vite qu’il est en train de s’approcher d’un homme, alors il descend les voiles, enlève le mât de son emplanture et sort ses rames pour ramer jusqu’à la plage.

Mais en s’approchant du rivage, les nombreux coups d’œil qu’il jette derrière son épaule lui permettent de constater que l’homme est recroquevillé de façon étrange, dans une position qui n’est pas naturelle.

Le pêcheur tire son bateau aux abords de la plage et il est presque arrivé à terre lorsqu’il voit quelque chose qui lui fait extrêmement peur et le force à changer ses plans. C’est que le corps difforme sur la plage n’a pas de jambe du tout – à peine de petits moignons hideux. Cette découverte effraie tant le pêcheur qu’il fait faire demi-tour à son doris, remonte le mât et les voiles et est bientôt loin dans la baie.

En arrivant chez lui une heure plus tard, il raconte son histoire bizarre et incroyable à qui veut bien l’entendre. Un homme, plus intrépide que les autres, accepte de se rendre à la plage à la condition que le pêcheur qui a vu l’homme en premier s’y rende avec lui. Après plusieurs encouragements, le premier pêcheur accepte et ce n’est qu’au coucher du soleil que le doris approche de nouveau le rivage de Sandy Cove.

Tout est comme le pêcheur l’avait laissé, avec le pauvre cul-de-jatte encore affaissé sur le rivage, tout près de la marée montante. Les deux pêcheurs débarquent sur la plage, près de l’étranger, et se dirigent vers lui. À la coupe de ses vêtements, il est clair que l’homme sans jambes avait été un officier sur un navire de la marine, mais le premier pêcheur avait eu raison au sujet de ses jambes : elles avaient été amputées, manifestement par un chirurgien, juste en dessous des hanches! À côté de l’étranger se trouvaient une bouteille d’eau et un paquet de biscuits de marin.

Pour toute réponse à leurs questions, le pauvre malheureux n’émet que des gémissements. Finalement, abandonnant tout espoir d’en apprendre à son sujet, ils transportent le rescapé sur le doris. De forte stature, l’étranger s’agrippe facilement à leurs épaules jusqu’au doris et lorsqu’ils le placent dans la poupe, il saisit les pats-bords de ses deux mains, maintenant un équilibre parfait.

Ils atteignent le village de pêcheurs après la noirceur et à ce moment la majeure partie des résidants de la petite communauté est sur le rivage à attendre cet être bizarre que le premier pêcheur avait décrit avant son départ. Mais ils ne sont pas préparés pour le choc de la réalité, et alors que les deux pêcheurs transportent l’étranger jusqu’à la maison du premier homme, un frisson parcourt la foule puisque cela est trop horrible pour être vrai. Apparemment, un homme n’ayant plus de jambes a été abandonné sur une partie déserte de la côte de la Nouvelle-Écosse -- abandonné à la mort!

En transportant l’étranger dans la maison, les pêcheurs tentent de lui donner des stimulants, espérant ainsi apprendre son histoire. Mais la victime ne fait qu’émettre des gémissements et se détourne d’eux. Évidemment, il avait souffert d’hypothermie sur le rivage avant d’être secouru. Le pêcheur décide de raconter toute l’histoire au prêtre et se dépêche de se rendre chez lui pour lui raconter ce qu’il sait à propos de l’étranger et de sa condition.

Bien que la nuit soit déjà bien avancée, le prêtre du village fait venir le médecin et se rend avec lui au camp de pêche. Une fois là-bas, ils se rendent compte que l’homme sans jambes s’est calmé et qu’il est presque endormi.

Le médecin examine ses plaies et déclare qu’elles ont été habilement recousues, déclarant qu’à son avis l’amputation a été faite par un chirurgien expert. Puis le prêtre commence à interroger l’inconnu, qui se met en colère. Après une longue période de questions, le prêtre annonce que l’inconnu a déclaré s’appeler Jérôme, mais l’homme d’église n’a pu en découvrir davantage. Jérôme refuse de dire sur quelle embarcation il est venu, comment et pourquoi ses jambes ont été amputées et de quelle nationalité il est. L’interrogatoire se poursuit et Jérôme est de plus en plus irritable et finit par se détourner du prêtre. Comprenant que ses efforts sont vains, le prêtre abandonne son interrogatoire pour la nuit et quitte bientôt la résidence.

Même si on craint au départ que Jérôme ne meure, il reprend des forces et montre à tous qu’il n’a pas l’intention de trépasser. En peu de temps, sa santé s’améliore de façon satisfaisante, mais il refuse toujours de parler. Une semaine plus tard, le cul-de-jatte est transféré de l’isthme de Digby vers Meteghan et confié aux soins d’une famille de ce village.

Le prêtre continue de visiter la pauvre créature et, lorsque le bon père n’est pas à son chevet, d’autres villageois assomment Jérôme de questions dans leur tentative de résoudre son étrange mystère, qui attire rapidement l’attention de presque tous les résidants de la péninsule. Mais Jérôme, qui refuse de parler avec des religieux ou des laïcs, demeure la majorité du temps dans un silence froid, empreint de dignité. Néanmoins, il se met parfois en colère et frappe littéralement plusieurs des villageois qui sont impatients ou se font trop insistants avec leurs questions. Jérôme marmonne parfois un charabia comme s’il avait l’esprit troublé.

Il demeure longtemps avec une famille et quelques mois après son arrivée, les résidants du village décident de le laisser tranquille jusqu’à ce qu’il se décide à parler de lui-même, ce qu’il ne fera jamais.

À un certain moment, on décide de l’envoyer à l’asile des pauvres, mais ceux qui croient le comprendre prétendent que cela briserait son esprit fier et décident plutôt de faire appel au gouvernement. Une pension de 2,00 $ par semaine est accordée, ce qui, en ce temps-là, couvrait pratiquement la totalité des dépenses reliées à son entretien.

Ainsi passent les années, selon la légende. Jérôme n’a jamais fait le moindre travail, pas même taillé un morceau de bois au couteau. Il restera silencieux jusqu’à sa mort, demeurant impassible au cours d’innombrables entrevues à sens unique qui ne donneront jamais de résultat.

Ce qui précède est du moins ce qu’on raconte généralement au sujet du plus étrange des personnages canadiens. Les versions peuvent varier, l'une d'elles voulant que ce soient deux jeunes filles plutôt que deux pêcheurs qui l’auraient retrouvé sur la plage. Une autre légende veut qu’il ait fait partie d’une famille royale européenne qui, en guise de punition pour un geste honteux, a eu les jambes coupées pour le réduire au silence. Chaque nouveau narrateur semble vouloir dépasser son prédécesseur. Tout ce temps, la vérité est à portée de main, mais personne ne désire la connaître puisque la légende attire beaucoup plus l’attention médiatique.

2e Partie – La Vérité Sur Jérôme

Avant de relater ce qui a été documenté et démontré comme étant la vérité à propos de Jérôme, je désire m’assurer que les lecteurs comprennent bien que les légendes, même si elles sont à l’origine basées sur des faits réels, se sont éloignées considérablement de la vérité au fur et à mesure qu’elles ont été racontées au fil des ans. Alors que la vérité est exposée, le lecteur astucieux détectera peut-être comment la légende en est venue à exister. Voici la véritable histoire de Jérôme.

Le 22 août 1863, deux petites goélettes américaines à poupe étroite sont aperçues alors qu’elles approchent Sandy Cove, dans le comté de Digby de la baie de Fundy. Deux hommes travaillent sur une colline à Sandy Cove, Robert Bishop et William Eldridge**. La première goélette reste dans l’anse, change de direction, puis reste au large, foc contre le vent. Peu après, on met une chaloupe à l’eau, on y place plusieurs choses et à la rame, on le dirige vers la plage sablonneuse. Ensuite, le bateau n’est plus visible, caché par le pied de la colline et par le feuillage des arbres à proximité. Les deux hommes qui travaillent sur la colline pensent que l’équipage de la goélette accoste probablement pour puiser de l’eau dans le puits situé au pied de la berge, comme l’ont souvent fait les équipages d’autres bateaux.

Une heure plus tard, on aperçoit les deux navires se diriger vers le nord-ouest et on les perd rapidement de vue. Les hommes écartent cet incident de leurs pensées.

Le matin suivant, les deux hommes sont de retour au travail sur la colline, lorsque George Albright, « un jeune homme plutôt simple d’esprit » du village, accourt vers eux en criant qu’il y a un homme sans jambes sur la plage! Ne croyant pas les propos étranges du garçon, mais tout de même intéressés à voir ce qu’il a trouvé, les deux hommes se rendent avec le garçon de l’autre côté de la falaise jusque sur le rivage où, à leur grand étonnement, ils découvrent que le garçon a dit la vérité!

Là, sur le rivage sablonneux de l’anse, gisait un homme à qui on avait de toute évidence coupé les jambes juste au-dessus des genoux. Près de la source où les marins l’avaient placé se trouvaient une cruche d’eau et juste à côté, des biscuits de marin. L’homme, à l’aide de ses moignons et de ses paumes de mains, s’était lui-même déplacé vers la marée montante de la baie et se serait noyé dans l’océan quelques instants plus tard. Sans doute les cris du garçon et sa curiosité avaient tiré l’inconnu de sa stupeur et il avait tenté de mettre fin à sa souffrance dans la mer.

Sauvé de la marée montante, le cul-de-jatte est amené au village où on le questionne sur son identité. Puisqu’il ne parle pas anglais et qu’il semble parler l’italien, on croit qu’il est originaire de l’Italie. Il semble être âgé d’environ vingt-cinq ans.

La seule partie de son nom qu’on peut comprendre est « Jérôme » et, lorsque M. Bishop le questionne à propos de ses origines, Jérôme prononce le mot « Colombo », mais il fait peut-être référence au bateau qui l’a emmené jusqu’en Amérique, comme nous le suggérons plus loin dans ce chapitre. Lorsqu’on lui offre une plume et de l’encre, Jérôme indique qu’il ne veut pas ou ne peut pas écrire.

Deux jours après avoir été laissé sur la plage, il est questionné par M. Angus M. Gidney de Mink Cove, qui est membre de l’Assemblée législative de la province et qui réside à quatre milles de Sandy Cove. Aux yeux de M. Gidney, Jérôme ne semble pas doté d’une grande intelligence, mais en plus ce dernier ne fait visiblement pas l’effort de répondre aux questions qui lui sont posées. Lorsque le député lui demande comment il a perdu ses jambes, l’Italien répond « Fretto, fretto » signifiant ainsi que ses jambes ont gelé. La conversation continue et Jérôme répond « Siorse » lorsqu’il veut dire oui et fait une réponse aussi claire lorsqu’il veut dire non, mais la réponse exacte n’a pas été notée.

Apparemment, le choc subi par son système nerveux lors de son amputation était si grave qu’il en a perdu la capacité de penser clairement.

Les surveillants des pauvres demandent et obtiennent que soit éventuellement versée pour ses soins une pension de deux dollars par semaine. Une partie de son passé est révélée à ce moment-là.

Les enquêteurs apprennent que Jérôme était passager clandestin sur un bateau italien venu au Nouveau-Brunswick et que, alors qu’on chargeait du bois sur le bateau dans un port du Nouveau-Brunswick près de Saint John, il s’est enfui dans les bois. Errant dans les environs, il décroche un emploi pour le père du sénateur King, dans un camp de bûcherons à environ vingt-cinq milles de Chipman. Au moment de son accident, une froide nuit du mois de mars 1863, Jérôme glisse et tombe dans l’eau glacée alors qu’il traverse un bassin de flottage sur des billots de bois. Il s’extirpe de l’eau et voit qu’il s’est blessé sur un des billots et réussit de peine et de misère à ramper dans un moulin où il passe la nuit, faute de mieux. Avant le lever du jour, la température descend bien en dessous du point de congélation et, au moment où deux frères du nom de Conroy le découvrent le lendemain matin, il est presque mort de froid.

Jérôme est amené d’urgence auprès du chirurgien le plus près, le Dr Peters de Gagetown, qui comprend vite que pour sauver la vie de Jérôme, il devra lui amputer les jambes au-dessus des genoux. Jérôme traverse cette situation critique et survit, mais les seuls mots qu’il prononce pendant les mois que dure son rétablissement est « Gamby », et c’est par ce nom qu’il deviendra connu.

Au mois d’août, ses jambes sont relativement bien guéries et, puisque soit les surveillants des pauvres soit les dirigeants municipaux trouvent qu’il en coûte trop cher de le garder et d’en prendre soin, on décide de l’envoyer ailleurs par bateau. D’une manière encore inexpliquée, un arrangement est pris avec un pêcheur de Cutler ou de Little River, dans le Maine, pour transporter Jérôme de l’autre côté de la baie de Fundy pour la somme de 10 $. On fait comprendre au pêcheur qu’il s’agit d’un geste de clémence, puisqu’il ramènera Jérôme chez les siens en Nouvelle-Écosse où les gens pourraient comprendre ce qu’il dit et seraient en mesure de prendre soin de lui. Il ne fait aucun doute que cet acte inhumain a été planifié par un petit groupe de Néo-brunswickois sans que la majorité des citoyens bienveillants n’en soient informés.

Après l’avoir découvert sur la plage et amené jusqu’au village, les gens de Sandy Cove comprennent qu’ils ont la responsabilité d’en prendre soin. Les surveillants des pauvres font une demande d’aide auprès du gouvernement provincial qui puise 2,00 $ par semaine d’un fonds « pour l’aide aux indigents transitoires*** ». Jérôme est placé chez un pêcheur acadien de l’autre côté de la baie Sainte-Marie, puisqu’il semble être italien et vraisemblablement catholique. Dans le village habite un Corse rustre et ignorant appelé Jean-Nicolas qui a un défaut d’élocution qui l’empêche de bien articuler en italien, en français ou en anglais, même s’il comprend ces trois langues. Nicolas, à sa manière brusque, parle avec Jérôme durant des heures, mais tout ce qu’il réussit à obtenir de l’infirme sont les quelques faits déjà mentionnés.

Plus tard, Jérôme reçoit la visite de M. Mecchi, un résidant de l’endroit bien éduqué et intelligent, mais il est possible qu’à ce moment-là M. Nicolas ait déjà lassé Jérôme avec ses interrogatoires confus. Le pauvre M. Mecchi abandonne finalement après avoir découvert par le dialecte que parle Jérôme que l’infortuné est sans doute originaire de la côte adriatique de la péninsule italienne.

Au fil des années qui passent, la légende entourant Jérôme prend de l’ampleur. On dit qu’il était officier sur une canonnière fantôme et qu’on lui a coupé les jambes pour l’empêcher de parler. On le décrit également comme le membre d’une famille royale italienne dont les mésaventures avec la mafia avaient été si diaboliques que l’organisation s’était vengée de façon terrible. Presque tous les journalistes et les correspondants se donnent beaucoup de peine pour inventer les plus étranges et les plus improbables histoires à propos de Jérôme, alors que chaque fois, la vérité est à leur portée. Les journalistes s’intéressent aux ouï-dire et ne consultent jamais ceux qui connaissent les faits véridiques.

Le juge A. W. Savary d’Annapolis Royal rend visite à Jérôme pour la première fois en 1865 et conclut par l’apparence de Jérôme qu’il était un marin n’ayant pas plus de trente ans, qui est devenu dément après le choc des terribles évènements qu’il a vécus. « Il semblait victime d’une profonde mélancolie et m’a lancé un regard piteux empreint de reproche avant de sortir de la pièce en rampant lorsqu’il a remarqué que je parlais de lui avec son hôtesse. J’ai pensé qu’il n’avait pas le teint aussi foncé que celui qu’ont habituellement les autres Italiens que j’ai rencontrés dans ce pays ».

Vers 1879, M. Samuel Gidney, frère du juge de Mink Cove qui avait déjà interrogé Jérôme, navigue en direction de Boston et mouille à Little River dans l’état du Maine pour la nuit. En soirée, deux hommes visitent son bateau et demandent à M. Gidney d’où il vient. En entendant dire que le bateau arrivait de Sandy Cove, un des hommes demande à Gidney si, autour de 1863, un homme dont les jambes avaient été amputées avait été retrouvé sur le rivage à cet endroit. Lorsque Gidney confirme ses dires, l’Américain lui fait une révélation.

« C’est moi qui l’ai débarqué là-bas. On m’a payé pour le transporter du Nouveau-Brunswick vers la Nouvelle-Écosse, où il serait avec des gens de sa race et ceux du Nouveau-Brunswick n’auraient alors plus à payer pour le supporter! »

À ce moment-là, Samuel Gidney ne croit pas que l’histoire est importante et ne la révèle pas à la presse à son retour en Nouvelle-Écosse. Il la mentionne par hasard à ses amis qui semblent tout aussi indifférents. À un certain moment, il se souvient du nom du résidant de Little River, mais il l’a oublié en 1908 lorsqu’il écrit au juge Savary.

En 1905, un Américain dont on ne connaît pas l’identité rend visite à Jérôme et découvre que la famille de Joseph Comeau héberge l’infortuné. Le visiteur déclare que Jérôme a alors « plus de 74 ans » et vit sur une ferme à Cheticamp, dans le comté de Digby, à environ six milles du village en suivant le rivage.

L’Américain parle du curé du village, le père Côté, pasteur des ouailles de l’église sur la colline appelée Stay of the Sea, qui n’avait pas « réussi plus que les autres » à découvrir le secret de Jérôme. Personne ne peut percer le mystère, ni un barbier italien érudit qui parle sept langues, ni un marchand arabe, ni un colon irlandais qui parle l’ancien gaélique. On croit pendant un certain temps que le nom de famille de Jérôme est Mahoney et qu’il est irlandais, mais lorsque l’Américain essaie de le questionner à ce sujet, il se mure dans le silence, un silence brisé seulement par la colère d’être harcelé. Exaspéré, Jérôme marmonne furieusement des mots incompréhensibles.

Pierre, qui conduit un attelage pour l’hôtel local et qui a souvent rendu visite à Jérôme en compagnie d’autres gens intéressés, raconte à l’Américain comment Jérôme « s’assoit toujours sur le plancher à côté du poêle et quand des étrangers viennent, il se gratte la tête comme ça, mais ne dit rien, seulement il leur crie après s’ils ne s’en vont pas ».

La maison des Comeau est située de l’autre côté de l’hôtel Port Royal, et l’Américain décide de demander à Pierre de le conduire jusque là. La famille Comeau réside dans une maison blanche, propre et bien entretenue située au sommet de la colline, et Pierre et l’Américain ouvrent la barrière et entrent dans la cour.

Une dame âgée au visage aimable est à la porte et parle aux visiteurs en français. Une fois qu’elle sait qu’ils sont là pour voir Jérôme, elle appelle sa fille, qui berce un bébé dans un vieux berceau de bois pas très haut, en le poussant occasionnellement avec ses orteils pendant qu’elle fait de la dentelle sur un métier. Elle appelle une autre jeune femme qui guide les visiteurs dans la cuisine où il y a un grand poêle bien poli sur lequel bout une énorme théière. À la droite du poêle, il y a un homme aux cheveux blancs assis par terre, les yeux fixés sur ses mains croisées devant lui. Ses jambes sont coupées à la hauteur des genoux. Même si la journée est chaude, il semble se blottir là pour se réchauffer. Il porte une large veste et un pantalon de toile grossière.

Alors que les autres entrent dans la cuisine, il leur lance un regard interloqué puis baisse les yeux pour ne plus les relever de toute la durée de la visite.

Même assis par terre, Jérôme a un physique impressionnant, avec son front haut d’apparence intelligente, ses beaux cheveux blancs peignés vers l’arrière, sa moustache blanche et sa barbe blanche coupée en pointe à la hauteur du menton, à la manière française. Il semble y avoir quelque chose de délicat et de raffiné chez Jérôme qui fait qu’il est impossible de l’ignorer lorsqu’on est en sa présence.

Le visiteur a apporté du tabac et des bonbons, mais lorsqu’on remet les présents à Jérôme, il semble les ignorer. Quelque chose d’étrange survient peu après, toutefois. Lorsque l’Américain insiste pour qu’il accepte les cadeaux, Jérôme rougit, le rouge partant de son cou pour gagner ensuite son visage, jusqu’à la racine de ses cheveux blancs.

Le garçon francophone de la famille, apparemment mécontent que Jérôme n’ait pas montré assez d’enthousiasme et de gratitude envers le visiteur pour les cadeaux, s’approche et les montre de nouveau à Jérôme, les rassemble devant lui pour attirer son attention.

Ce geste fâche Jérôme et il pousse un cri qui semble étrange et inhumain, repoussant violemment et frappant les mains tendues vers lui. Néanmoins, il ne fait pas preuve d’amertume ou de hargne, mais démontre seulement du ressentiment, dû à sa nature nerveuse et prompte. Il est absolument évident aux yeux des gens dans la pièce que Jérôme connaît et comprend tous les mots qui y sont dits ce jour-là, que ce soit en français ou en anglais.

Plus tard, un autre fils Comeau, qui étudie alors la prêtrise, entre et explique une bonne partie de ce qui est arrivé à Jérôme depuis la trentaine d’années qu’il habite avec eux. On croit que Jérôme est catholique et on l’a parfois vu prier. Il fait le signe de la croix mais n’accepte jamais le chapelet pour dire ses prières. Il refuse également de lire le livre de prières ou tout autre livre ou journal, mais il se peut que ce soit parce qu’il n’a jamais appris à lire. Vers 1890, il prend l’habitude de sortir sur la véranda lorsque le temps est chaud et ensoleillé, mais il cesse de le faire peu de temps après. Il reste assis toute la journée à côté du poêle et fait une sieste après le souper. Durant la nuit, les autres l’entendent souvent se parler tout bas à lui-même, mais il a les oreilles si fines que lorsqu’ils s’approchent pour écouter, il s’arrête tout d’un coup.

Un jour, une famille de la Nouvelle-Orléans entre en contact avec les Comeau puisqu’un des frères de la famille s’était enfui en mer alors qu’il n’était qu’un garçon de douze ou quatorze ans et n’était jamais revenu. Après avoir échangé plusieurs lettres, la famille est convaincue que Jérôme n’a pas le bon âge et ils ne mettent jamais à exécution leur plan initial de le visiter pour voir s’il est leur frère dont ils ont perdu la trace il y a longtemps.

Le jeune Comeau fait un croquis de Jérôme qu’il remet à l’Américain en espérant que quelqu’un quelque part reconnaîtra l’homme sur le croquis et percera le mystère. Mais le jeune homme laisse aussi entendre que quarante ans se sont écoulés depuis l’incident et que ces années de silence ont détruit presque toutes les traces de son identité. On croit qu’il est possible que Jérôme ait pu être un espion ou un traître de la guerre de Sécession.

Quoi qu’il en soit, tous s’entendent sur le fait que Jérôme ne parle pas parce qu’il ne veut pas parler et que sa volonté est si forte que personne ne peut le forcer.

Un an plus tard, un homme de New York dont on ne connaît pas le nom mène une enquête approfondie de toute cette affaire. Il voyage jusqu’au petit village de Saulnierville dans la baie Sainte-Marie et s’arrête à la maison pour étudier l’homme mystérieux et trouve, paraît-il, qu’il a l’air très intelligent. Il note ce qui caractérise Jérôme et fait mention de la moustache et de la barbe en pointu. Il dit que sa tête est large, imposante et bien formée. Le New-Yorkais décrit les contours de son visage comme étant beaux, son nez plus précisément comme étant prononcé et droit. Les yeux de Jérôme sont apparemment grands et foncés, même s’il « les baisse résolument lors de la première rencontre et qu’ils ne peuvent être observés clairement ». Ses doigts sont longs et minces, mais extrêmement forts. Il ne possède pas de trait racial prononcé et pourrait facilement être Américain. On raconte toutefois que sa peau était autrefois beaucoup plus foncée, mais on ne peut dire s’il s’agissait d’un bronzage naturel ou d’autre chose.

L’expression de son visage est sévère et pourrait dénoter un découragement désespéré ou de la détermination résolue. Aux yeux des trois visiteurs, il est si impressionnant qu’ils se sentent incapables de parler librement de lui en sa présence. Alors que les visiteurs s’en vont, l’un d’eux dit doucement « Au revoir, Jérôme », puis s’arrête un instant dans l’espoir de voir une réaction quelconque, mais Jérôme ne répond pas et l’expression sur son visage demeure la même.

En 1863, quarante-quatre ans avant que l’Américain ne s’intéresse au mystère de Jérôme, ce dernier est amené chez Jean-Nicolas, le Corse mentionné plus tôt, parce que Nicolas parle italien et plusieurs autres langues. Soit dit en passant, Nicolas s’était échappé avec vingt autres hommes d’une prison de guerre, probablement au cours de la guerre de Crimée, et était arrivé en Nouvelle-Écosse sans un sou en poche. Il avait gagné sa vie en tant qu’organiste et avait amassé assez d’argent pour s’acheter un petit hôtel à Meteghan, où Jérôme est allé vivre avec lui. Lorsque sa femme meurt, il retourne en Italie pour visiter sa famille et meurt là-bas peu de temps après son arrivée.

En 1906, lorsque le New-Yorkais écrit son article à propos de Jérôme, Jean-Nicolas, le Corse, est mort depuis plusieurs années et Jérôme vit alors chez les Comeau. On apprend cependant que la belle-fille de Nicolas, une dame Doucet, habite Saulnierville, près de la résidence du conducteur de diligence et l’Américain décide de lui rendre visite. Âgée de treize ans lorsque Jérôme arrive en 1863, elle est maintenant une femme de cinquante-six ans et mère de douze enfants. Mme Doucet a habité avec sa famille durant cinq ans jusqu’à ce que le ménage soit brisé par la mort de sa mère et le départ de son beau-père pour l’Europe.

Mme Doucet explique comment au départ son beau-père avait essayé de faire parler l’inconnu, mais qu’il ne voulait rien dire. Ses jambes lui faisaient alors encore terriblement mal et il a fallu six mois pour qu’elles guérissent et qu’il puisse s’en servir. On lui a finalement attaché des protecteurs en cuir aux moignons et il a pu se promener sans que ce ne soit trop douloureux.

En fait, explique Mme Doucet, Jérôme était parvenu à comprendre tout ce qu’on lui disait et pouvait parler le dialecte utilisé par Jean-Nicolas. Jérôme comprenait aussi le français et l’anglais. Mme Doucet l’avait entendu prier en latin.

Selon Mme Doucet, Jérôme avait une bonne voix claire. « Oh, il pouvait parler, il n’y a pas de doute là-dessus, mais il ne voulait pas parler, je n’ai jamais compris pourquoi. Plusieurs fois, alors qu’il avait l’esprit ailleurs, il parlait avant de pouvoir se rattraper. Une fois, mon père lui a demandé à brûle-pourpoint d’où il venait et il a répondu "Trieste". Ensuite, il est devenu pâle et a paru effrayé et n’a plus voulu parler pendant un long moment. Il semblait avoir peur après avoir parlé les fois où c’est arrivé, particulièrement à une occasion ».

« C’était un soir où il semblait tranquille et heureux et mon père lui a demandé le nom du bateau sur lequel il était venu et il a répondu immédiatement qu’il s’agissait du [[italic]]Colombo[[/italic]]. Puis il est devenu livide et s’est mis à trembler violemment et semblait beaucoup plus effrayé qu’il ne l’avait jamais été… Avec nous, les enfants, il ne faisait pas aussi attention de rester silencieux. Quand nous étions seuls avec lui, il nous nommait les choses dans des langues étrangères. »

Souvent, après que Jérôme leur ait parlé, les enfants expliquaient à Jean-Nicolas quand il rentrait que Jérôme leur avait parlé. Nicolas allait voir Jérôme et le regardait.

« Allons, Jérôme, tu parles avec les enfants, pourquoi ne veux-tu pas me parler? » Jérôme se détournait pour regarder le poêle et marmonnait : « Non! »

Jérôme adorait les enfants et il les caressait lorsqu’ils étaient assis sur ses genoux, mais il ne levait pas les yeux alors qu’il leur caressait la tête.

À son arrivée, il restait éveillé toute la nuit et dormait le jour. Il montait souvent sur le toit le soir pour regarder l’océan ou les étoiles dans le ciel.

Une nuit, Nicolas a essayé d’effrayer Jérôme en attachant un drap à des bâtons et a placé la chose à côté de Jérôme, qui l’a regardée, puis est rentré à l’intérieur avant de revenir quelques instants plus tard. Nicolas s’est rendu aux côtés de Jérôme et a pointé le drap en disant : « Jérôme, c’est le diable! »

« Le diable n’est pas blanc », a répondu Jérôme. Mais il n’est plus jamais sorti observer les étoiles.

Une fois, il a mis ses mains sur le poêle brûlant et une autre fois, il s’est arraché les cheveux. Mme Doucet suggère que c’était peut-être dans le but d’expier ses péchés. Et puis, après, il a eu des crises de colère. Lorsqu’un chat a sauté sur son lit, il a attrapé l’animal et l'a coupé en deux!

Très fort physiquement, il se rendait jusqu’à la corde de bois et tendait les bras pour qu’on lui donne des bûches. Aucune charge ne semblait trop lourde pour lui et il marchait ou clopinait jusque dans la maison avec l’énorme charge toujours en place dans ses bras. Une fois ses jambes guéries, il pouvait courir aussi vite qu’une petite fille.

Il n’a vraiment ri qu’à une seule occasion, lorsqu’une jeune fille noire sur le point de se marier s’arrêta à la maison. Elle était très jolie et son visage heureux était entouré de fleurs blanches. Jérôme souriait aimablement. Après son départ, les autres demandèrent à Jérôme pourquoi il souriait et il répondit : « les jolies fleurs blanches sur un visage noir ». Une autre fois, on préparait des bonbons et il s’écria : « donnez-moi un caramel! ». Chaque fois qu’il parlait, il semblait toujours le regretter après coup, comme s’il avait eu un moment de distraction.

Ses manières à table étaient très bonnes. Jérôme adorait la soupe et l’eau fraîche, mais pas le thé, le café ou l’alcool. Lorsqu’un médecin tenta de lui délier la langue avec du whisky, Jérôme refusa d’y toucher.

Peut-être que s’il aimait tant la chaleur du soleil et celle du poêle, c’était à cause de la terrible expérience qu’il avait vécue lorsqu’il s’était gelé les jambes. Il déclara un jour que lorsqu’on lui a coupé les jambes, il était enchaîné à une table.

Lorsque la mère de Mme Doucet mourut alors que Jérôme habitait la maison, il alla la voir et examina ses pieds et ses mains pour se convaincre qu’elle était bien morte. Lorsqu’il fut convaincu qu’elle était décédée, il prit la croix dans ses mains et s’assit à côté d’elle pendant un long moment, des larmes coulant sur son visage puisqu’il l’avait beaucoup aimée.

Mme Doucet a accepté de visiter Jérôme à la résidence des Comeau avec l’Américain et les autres. Puisqu’il s’agit de la dernière entrevue enregistrée, je la raconterai en détail. Elle n’a pas eu grand succès, puisque lorsque Mme Doucet est entrée seule dans la cuisine et a dit « Bonjour Jérôme », elle lui a tendu la main. Il a levé la sienne comme pour la frapper, quittant sa position habituelle, c’est-à-dire à demi tourné vers le poêle.

« Qu’est-ce qui se passe Jérôme, tu ne me reconnais plus? », a demandé Mme Doucet, puis Jérôme s’est tourné pour la regarder de face.

Il l’a fixée pendant un moment puis, se rendant compte que les autres le regardaient, il a rapidement baissé les yeux vers ses mains.

« Pourquoi ne me parles-tu pas, Jérôme? » a poursuivi Mme Doucet, et cette fois Jérôme s’est retourné vers elle et a fait un réel effort mental. Il a marmonné plusieurs syllabes incompréhensibles en tentant de se faire comprendre.

« Je ne te comprends pas, Jérôme, parle plus fort. »

Il a essayé de nouveau et échoué encore. Finalement, avec un effort surhumain, il a marmonné quelque chose, tentant apparemment de dire « Je ne peux pas! »

Les longues années de silence ont finalement fait leurs ravages. Jérôme était maintenant physiquement incapable de parler et, pour autant que l’on sache, le précédent message dans lequel il indiquait ne plus pouvoir parler est la dernière chose qu’il ait dite. Ses cordes vocales ont graduellement perdu de leur flexibilité et son cerveau a été affecté.

Environ cinq ans et demi après la dernière visite de Mme Doucet, Jérôme, l’inconnu de Meteghan, rend l’âme. Nous sommes le 19 avril 1912. Sa mort passe inaperçue dans les journaux qui débordent de nouvelles au sujet du récent désastre du Titanic. Bien qu’on ait volontiers prédit qu’une fois sur son lit de mort, il révèlerait d’où il venait et pourquoi il avait rarement parlé, il meurt sans révéler un seul mot de son passé.

Je m’aperçois que nous n’avons résolu qu’en partie le mystère entourant ce pauvre malheureux, mais il y a dans ce chapitre plus de faits concernant Jérôme qu’il n’en a jamais été présenté à propos d’une des plus grandes énigmes canadiennes du siècle présent ou passé.

Si je devais tenter d’expliquer l’histoire de Jérôme, je dirais que dans un accès de colère, comme il en a souvent eus en Nouvelle-Écosse, il a commis un crime grave, possiblement un meurtre, sur la côte adriatique, un crime pour lequel il a été pourchassé. Il s’est alors enfui à bord du Colombo et a éventuellement atteint le Nouveau-Brunswick où il s’est engagé dans un camp de bûcherons pour oublier son passé.

Puis est arrivée la nuit glaciale où il est tombé des billots et s’est gelé les jambes si grièvement qu’une amputation a été nécessaire. Plus tard, il a été abandonné sur une plage déserte de la Nouvelle-Écosse et les résidants d’un village avoisinant se sont occupé de lui sans jamais connaître la raison de son étrange silence. Mais quelque part, comme le souligne si justement le juge A. W. Savary d’Annapolis Royal, une famille a attendu anxieusement durant des années des nouvelles de Jérôme, qui ne leur est jamais revenu. Il ne fait aucun doute que son histoire est unique.

*Mafia – dangereuse organisation criminelle clandestine italienne.

** Eldridge s’est plus tard installé à Portsmouth, dans le New Hampshire.

*** Le mot est plutôt ironique dans le cas de Jérôme, puisqu’il a reçu de l’aide de 1864 à 1912, ce qui permet difficilement de le classer dans la catégorie « transitoire ».

Source: Edward Rowe Snow, "Une énigme canadienne -- Jérôme" in Amazing Sea Stories Never Told Before, (New York: Dodd, Mead, 1954), 222-242.

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