Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 

Fortierville et le Québec au tournant du XXe siècle

[ Réservoir de l'aqueduc de Fortierville, Inconnu, Album-souvenir 100e anniversaire de la paroisse Sainte-Philomène de Fortierville, 1882-1982  ]par Carolyne Blanchard et Peter Gossage

Fortierville est situé sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, à mi-chemin entre Trois-Rivières et Québec. La communauté, située à quelque distance du fleuve, ne peut pas retracer son histoire jusqu’à l’époque de la Nouvelle-France. Fortierville se développe plutôt à partir des années 1850, alors que des colons-défricheurs provenant des paroisses voisines de St-Pierre-les-Becquets et de Déschaillons viennent s’y installer graduellement. C’est donc à l’époque de la colonisation interne du Québec, quand le peuplement du territoire commence à dépasser largement l’ancienne zone seigneuriale, que l’histoire de cette communauté rurale commence.

En 1882, le hameau est érigé en paroisse de Sainte-Philomène et à partir de 1886, la nouvelle paroisse est dotée d’une imposante église en pierre – bâtiment qui existe toujours et qui joue un rôle dans le drame d’Aurore Gagnon. Comme dans d’autres régions de colonisation de l’époque, que ce soit le Saguenay ou l’Outaouais, les paroissiens combinent l’agriculture avec un peu d’exploitation forestière: ce modèle bien connu est qualifié par les historiens de système «agro-forestier». Au village, on voit le développement de petits commerces et plus tard, de la fonderie Bernard qui ouvre ses porte en 1908. C’est un employeur important pour le village (ingénieurs, mécaniciens, journaliers). Les industries Bernard ne sont pas qu’une fonderie, c’est aussi une usine où l'on travaille le fer et un atelier de bois. En s’installant à Fortierville, Adélard Bernard connaît des années de prospérité et contribue au progrès du village. Malheureusement, suite à un incendie survenu en 1923, l’usine ferme définitivement ses portes en 1924.

Bâtir une paroisse dans la forêt est difficile et tous les habitants doivent travailler durement pour se loger et se nourrir convenablement. Plusieurs paroissiens décident de se tourner vers d’autres défis et d’autres opportunités. Ils quittent donc le village pour tenter leur chance aux États-Unis, où les manufactures de textile promettent des emplois pour tous les membres d’une famille. La construction du pont de Québec qui a lieu de façon intermittente entre les années 1900 et 1917, attire également son lot de travailleurs.

L’arrivée du chemin de fer (1895), puis du téléphone (1910) apporte de nouvelles opportunités à la région: les échanges commerciaux et les communications deviennent plus faciles et plus rapides. En 1913, les paroissiens voient leur municipalité divisée en deux. La partie rurale conserve le nom de Ste-Philomène alors que le village devient la municipalité de Fortierville. La même année, les premières voitures du village apparaissent, elles appartiennent à Oréus Mailhot et Adélard Bernard. La première guerre mondiale crée du travail à Fortierville. Les industries Bernard se voient offrir par le gouvernement un contrat pour la fabrication de boîtes d’obus. Par contre, la fin de la guerre apporte une plaie sanitaire: les soldats de retour au pays transportent avec eux un virus ravageur, la grippe espagnole. Cette épidémie tue des milliers de québécois et de canadiens et n’épargne pas la population de Fortierville où de nombreux cas sont déclarés.

Le Québec des années 20 subit des changements et des transformations majeurs au niveau économique, social et culturel. La production manufacturière augmente continuellement grâce, entre autres, à l’utilisation généralisée de l’électricité, ce qui entraîne un grand besoin de main d’œuvre dans les villes. Les milieux ruraux voient donc leur population migrer vers les centres urbains. Il s’agit d’un tournant dans la répartition du peuplement de la province car pour la première fois la majorité de la population habite dans les villes. Malgré cette migration urbaine, la modernisation se propage lentement et les conditions de vie des ouvriers restent difficiles. Dans ce contexte où le travail est exigeant, dangereux et sans garantie, les syndicats sont de plus en plus présents et leur pouvoir augmente auprès des employés.

Cette urbanisation et industrialisation de masse est influencée par les États-Unis mais l’élite laïque et religieuse souhaite conserver les valeurs et les traditions propres aux canadiens français. Cela se traduit, au niveau linguistique, par des luttes contre les politiques allant à l’encontre de l’usage du français (règlement 17 sur les écoles en Ontario); au niveau moral, par la mise en place d’une loi sur les boissons alcoolisée (prohibition); au niveau social, par le refus d’accorder le droit de vote aux femmes. L’idée d’une possible séparation du Québec de la confédération canadienne est même lancée par nul autre que J.-N. Francoeur!

De l’extérieur, Fortierville pourrait donc avoir l’air d’un village tranquille, un peu figé dans le temps, avec son église, ses petits commerces, et ses nombreuses maisons de ferme peuplées de paroissiens tout aussi travaillants que pratiquants. En réalité, il s’agit d’une communauté née des grandes mutations du XIXe siècle qui, en 1920, est en train de vivre à sa façon celles du XXe. Le questionnement des valeurs dites «traditionnelles» et la modernisation de l’économie, des communications et des mœurs sont des tendances lourdes partout en Amérique du Nord à cette époque. Ce sont des nouveautés auxquelles les gens de Fortierville seront appelés à s’adapter.

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