Aurore - Le mystère de l'enfant martyre
   
 

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Le Soleil 22 avril 1920, p. 1

LA FEMME GAGNON SERA PENDUE LE 1ER OCTOBRE

LE JUGE PLEURE EN ENVOYANT LA FEMME AU GIBET

Les jurés ont rendu un verdict de "coupable" sans recommandation à la clémence, à peine cinq minutes après la fin de

LA CHARGE ECRASANTE DU JUGE

L’hon. L.-P. Pelletier a parlé pendant plus de trois heures, dans sa charge.–Il détruisit la prétention que l’accusée était folle.

IL S’EVANOUIT APRES LA SENTENCE

La mort de la petite Aurore Gagnon, de Ste-Philomène de Fortier-ville, comté de Lotbinière sera vengée.

Sa belle mère, Marie-Anne Houde, épouse de Télesphore Gagnon, à qui l’on imputait le crime d’avoir fait mourir l’enfant à petit feu, en lui faisant subir les traitements les plus barbares et qui vient d’être jugée par ses pairs, douze petits jurés des assises criminelles, a été trouvé coupable de meurtre au premier degré et son plaidoyer de folie a été rejeté sans même une recommandation à la clémence de la justice qui suivra son cours.

ELLE MONTERA A L’ECHAFAUD

Cette mère dénaturée ou si l’on veut la marâtre de Lotbinière, montera à l’échafaud le matin du 1er octobre prochain à 8 heures, pour payer sa dette à la société.

Ce sera le dernier acte d’un drame des plus révoltants, des plus monstrueux dont l’histoire de notre province fasse mention et auquel est aussi mêlé le mari de la condamnée qui aura à son tour son procès ces jours ci, également sur l’accusation de meurtre.

La cause de Marie-Anne Houde, considérée comme l’une des plus retentissantes qui se soit vue, comme la plus triste à la suite des faits qui ont été révélés, s’est terminée hier après-midi, à 5 heures, après avoir passionné l’opinion publique pendant huit jours.

LE JURY DELIBERE 10 MINUTES

Le verdict a été rendu à 4 heures 30 exactement après que les petits jurés eussent délibéré à peine dix minutes et à 4 heures 55, après une suspension d’un quart d’heure, le président du tribunal l’hon. juge L.-P. Pelletier dont la charge écrasante pour l’accusée avait duré trois longues heures, prononçait la sentence de mort, lui-même sous le coup de la plus grande émotion, pendant que dans la salle d’audience semblait passer comme un voile de tristesse.

UN VOILE DE TRISTESSE

L’accusée à la barre, soutenue par deux gardes de la prison pleurait abondamment et lorsque le juge eut prononcé la dernière partie de la formule de la sentence :

Que Dieu ait pitié de votre âme, on dut la transporter à quatre jusque dans a cour du Palais de Justice, d’où elle

(Suite à la page 8)

AUX ASSISES

(Suite de la page 16[sic])

fut ensuite reconduite en prison où elle attendra maintenant la date de sa pennasion.

LA PREUVE À ETE ACCABLANTE

Ses défenseurs, Mtre J.-N. Francoeur, C. R. et Marc-Aurèle Lemieux, C. R. malgré toute l’énergie qu’ils ont déployé, toute l’habileté dont ils ont fait preuve pendant le procès, n’ont pu la sauver de la corde. La preuve accumulée contre elle, preuve irréfutable des faits, a été accablante et dans sa charge, l'hon. juge Pelletier, n’a pas laissé un point sans explication, pour ensuite en tirer des conclusions qu’il laissait au jury à apprécier, à peser pour se guider dans leur verdict.

UNE CHARGE ECRASANTE

Les vieux plaideurs au Palais de Justice ne se rappellent pas avoir entendu une charge plus complète et surtout plus écrasante contre un accusé de toute leur carrière pourtant longue.

A certains moments de la charge, le juge lui-même ne put refouler tantôt l’indignation, tantôt l’émotion qui s’emparaient de lui dans l’exposé des supplices infligés à la petite martyre et on a vu plusieurs des petits jurés, comme plusieurs autres personnes dans l’audience sortir leur

LES PETITS JURES PLEURENT

mouchoir et s’essuyer les yeux.

La scène fut plus navrante encore, lorsqu’à 4 h 30, après s’être retirés, les petits jurés firent leur rentrée dans la salle, précédés de leur gardien, M. Abraham Drolet, gardien du Palais de Justice et de leur chef, M. Théophile Huot.

L’arrivée des petits jurés avait été annoncée quelques instants avant, par le juge qui monta sur le banc coiffé de son tricorne.

S’adressant à l’assistance, l’hon. juge Pelletier s’exprima ainsi :

PAS DE MANIFESTATION

« Le jury est prêt à rendre son verdict.

Je demande à tous ceux qui sont dans la salle en vertu d’un privilège spécial, la faveur de ne faire aucune manifestation quelle que soit la décision que les jurés rendront. »

TOUS D’ACCORD

M. Charles Gendron, assistant greffier des assises s’adressant alors aux petits jurés leur posa la question suivante :

-Messieurs les petits jurés êtes-vous d’accord sur votre verdict ?

-Oui, répond leur chef.

-Quel est votre verdict ?

-Coupable, répond M. Huot, d’une voix qui laissa deviner l’émotion qu’il ressentait.

-Etes-vous tous de la même opinion ?

-Oui.

VOUS AVEZ FAIT VOTRE DEVOIR

La foule observa le plus grand silence qui fut troublé par la voix seule du juge qui, visiblement ému, s’adressa aux petits jurés, en leur disant :

« Vous pouvez vous retirer messieurs les jurés. Vous avez fait votre devoir et je concours entièrement dans votre verdict.

LE VERDICT ET LA CHARGE DU JUGE EN APPEL

Puis après une deuxième suspension d’audiences, le juge monta de nouveau sur le banc coiffa son tricorne et se préparait à prononcer la sentence lorsque Mtre Francoeur, l’un des défenseurs de l’accusée demanda à l’hon. juge Pelletier d’être entendu sur des questions de droits pour obtenir la permission d’en appeler du verdict et de la charge aux petits jurés.

Le président du tribunal informa Mtre Francoeur qu’il fixera une date pour entendre sa requête avant la fin du terme.

Il était apors [alors], 4 h 45. Mtre Arthur Fitzpatrick, C. R., l’un des substituts du Procureur général, avec Mtre Art. Lachance, C. R., s’adressant au tribunal, déclara :

« J’ai le pénible devoir, Votre Seigneurie, de demander que sentence de mort soit prononcée immédiatement. »

Après que l’accusée eut été requise de se lever, le greffier, M. Alphonse Pouliot, lui demanda :

LA SENTENCE DE MORT

Avez-vous quelque chose à dire pour que sentence ne soit pas prononcée maintenant contre vous.

L’accusée n’eut pas la force de répondre, et c’est son procureur, Mtre Francoeur, qui déclara : au nom de l’accusée, je n’ai rien à dire.

L’hon. juge Pelletier, d’une voix entrecoupée par les sanglots, s’adressant alors à l’accusée à la barre, prononça la sentence de la manière suivante :

-Marie-Anne Houde, vous avez entendu le verdict des petits jurés contre vous. Je concours dans ce verdict et je n’ai rien à ajouter.

La sentence que je vais prononcer contre vous est que vous soyez transportée à la prison commune de cette ville, où vous serez détenue jusqu’au 1er jour d’octobre 1920, alors que vous serez pendue par le cou à 8 heures du matin, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

LE JUGE PLEURE

Puis après s’être laissée tomber la tête sur son pupitre, l’hon. juge Pelletier sanglota et dut se reprendre en deux fois pour finir la formule : Que Dieu ait pitié de votre âme !

L’hon. juge Pelletier se retira aussitôt dans sa chambre, où il dut être assisté par deux autres personnes et l’on crut un instant qu’il allait s’affaisser, tant il était en proie à la douleur.

C’EST SON DERNIER TERME

Aujourd’hui, on nous informe que le juge Pelletier, qui s’est imposé un surcroît de travail considérable depuis que le terme est commencé et qui en était à sa troisième condamnation à la peine de mort, ne présidera pas d’autre procès et probablement qu’il ne siégera plus non plus à la Cour d’Assises.

Il sera remplacé par l’hon. juge Désy, qui commencera dès vendredi à entendre les autres procès sur le rôle[...].

Tel que dit plus haut, les défenseurs de la femme Gagnon n’abandonnent pas la partie comme complètement perdue et après l’audience d’hier après-midi, Mtres J.-N. Francoeur et Marc-Aurèle Lemieux nous ont déclaré qu’ils vont contester la légalité de la charge du juge sur plusieurs points, en s’adressant à la cour d’appel et même à la cour suprême s’il y a lieu.

L’audience d’hier après-midi restera comme la plus mémorable et la peine de mort prononcée contre la femme Gagnon est la troisième depuis deux semaines avec celle des deux Roumains, Dabeka et Morari convaincus du meurtre du Polonais Kostiniau, à Kénogami en juillet dernier, chose sans précédent dans l’histoire de nos assises criminelles.

Source: "La femme Gagnon sera pendue le 1er octobre," Le Soleil (Québec), avril 22, 1920.

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