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Témoignage ou preuve

par Ruth Sandwell

Cette leçon a été conçue pour aider les étudiants plus âgés et ceux qui ont plus d’expérience avec les documents historiques à approfondir l’étude des sources dans le but de découvrir les types de témoignages et les autres types de preuves que ces documents peuvent contenir.

La problématique

Sur le site Web, les élèves sont exposés à un large éventail de sources, des documents qui ont été écrits pendant, ou peu de temps avant ou après, la période où le mystère est survenu. Bien que ces documents puissent se révéler fort intéressants pour les élèves, ces derniers ne savent pas toujours comment aborder l’information contenue dans les documents et ils savent encore moins comment les évaluer ou les interpréter. Cet exercice a été conçu afin d’aider les élèves à acquérir certaines des habiletés nécessaires aux historiens pour comprendre et évaluer la preuve documentaire laissée par le passé.

L’exercice

Pour cet exercice, la classe est divisée en groupes de trois à six élèves à qui on remet une copie d’un document historique que l’on peut retrouver sur le site. Le document devrait être assez court pour que les élèves puissent le lire et en débattre dans la période allouée tout en étant assez concis et intéressant pour soutenir leur intérêt. Un exemple de document tiré du site « Qui a tué William Robinson? » est présenté à la fin du présent exercice.

Dans leur équipe, les élèves commencent par lire le document à voix haute. Toujours en équipes, la moitié de la classe (selon le temps disponible et le niveau du cours) travaillera sur une ou toutes les questions de la feuille A (À l’écoute du témoignage de l’auteur) et l’autre moitié fera la même chose avec les questions de la feuille B (Lire entre les lignes d’un témoignage). Les élèves débattent des questions et notent leurs réponses. Puis, la classe se réunit et un représentant de chaque groupe fait un compte rendu des discussions.

A) À l’écoute du témoignage de l’auteur : objectifs, buts et intentions

Chaque source a été créée et préservée par une personne. Plusieurs documents qui apparaissent sur ce site ont été créés par des journalistes de la presse écrite ou par des employés du gouvernement (en particulier ceux du système judiciaire). Presque tous ces documents ont été préservés par un ou plusieurs centres canadiens d’archives.

Une étude détaillée des contextes dans lesquels le document a été créé et préservé (qui est l’auteur du document et quels étaient ses intentions ou ses objectifs) peut nous donner une meilleure compréhension des buts de l’auteur. Le témoignage des individus, des institutions, des organisations peut nous en dire beaucoup sur le passé.

  • Savez-vous qui a créé ce document? Comment le savez-vous?
  • Pourquoi ce document a-t-il été créé? Comment le savez-vous? (Quels étaient leurs objectifs et leurs intentions?)
  • À qui était destiné ce document? Qui devait le lire? Comment le savez-vous?
  • Qui a préservé ce document? Comment le savez-vous?
  • Quelle est l’information la plus importante que le document devait communiquer?

B) Lire entre les lignes d’un témoignage (ou tirer des preuves d’un témoignage)

Tel que suggéré par l’exercice A, les buts et les croyances des auteurs d’un document influencent généralement, et ce de façon explicite, sa création et sa préservation. Cela se fait de plusieurs façons : par le contenu, la forme, le ton, l’information et le sens. Plusieurs documents contiennent également de l’information sur la société : sur certains individus, sur les attitudes et les croyances, sur les relations entre les gens ou les groupes. Ce n’était pas nécessairement l’intention de l’auteur d’inclure ce type d’information dans le document.

Les questions contenues dans cette section aident à comprendre les moyens dont disposent les historiens non seulement pour déchiffrer les intentions des auteurs des documents, mais pour découvrir des éléments d’information sur la société au moment de la création du document. Traiter un document comme un élément de « preuve » et non seulement comme un simple « témoignage » permet à l’historien d’aller au-delà des questions telles que : « Est-ce que ce témoignage est véridique? » ou « L’auteur a-t-il manqué d’objectivité? ». En fait, il peut aller au-delà de l’intention ou des préoccupations de l’auteur du document et y trouver des renseignements qui lui permettront de tirer des conclusions sur des problématiques plus vastes qui intéressent les historiens.

  • À qui la parole est-elle donnée dans le document? Est-ce que tout le monde est nommé?
  • Comment pourriez-vous qualifier ces voix? Heureuses? Tristes? Impartiales? Terrifiées? Autoritaires?
  • Pouvez-vous identifier qui et quoi déterminent/dirigent ce que ces voix communiquent?
  • Pouvez-vous identifier si quelque chose est omis de la version écrite d’un compte rendu verbal? Pouvez-vous faire des suppositions sur ce qui a été omis?
  • Que pouvez-vous dire sur les relations entre les personnes représentées dans le document à partir des voix que vous entendez? (Sont-elle égales l’une envers l’autre? Sont-elles de la même famille? Des amis?) Qu’est-ce qui vous donne cette impression?
  • Quelles sont les distinctions, s’il y en a, qui sont faites entre les personnes dans le document (Sexe? Race? Lieu de naissance? Âge? Occupation? Religion? Statut social? Richesse?)
  • Que pouvez-vous supposer au sujet des différents types de personnes représentées dans le document? (Sexe? Race? Lieu de naissance? Âge? Occupation? Religion? Statut social?)
  • Sur quelles preuves basez-vous vos suppositions?
  • Pouvez-vous reconstruire l’endroit physique dans lequel ce document a été créé? Quelle serait la valeur d’une telle reconstruction?
  • Quelle est la conclusion la plus importante que vous pouvez faire au sujet de cette société à partir de ce document? (Est-ce que les personnes sont égales dans cette société? Sinon, qu’est-ce que détermine la position sociale? Est-ce que cette société est en situation de paix ou de guerre? Conflit ou harmonie? Si cette société vit une situation de conflit, quelles sont les questions centrales du conflit?)

C) Critères pour évaluer l’importance et la signification

Il n’est pas facile de saisir ou de comprendre le passé. Très peu de personnes de cette époque (des gens comme vous ou moi) ont produit des documents qui nous renseignent sur leurs expériences. D’ailleurs, même s’ils l’avaient fait, ces archives auraient rarement survécu au passage du temps. Afin de compliquer les choses, nous savons que les historiens s’intéressent non seulement à la façon dont les gens de l’époque percevaient et comprenaient leur vie, mais qu’ils espèrent aussi tirer des conclusions sur des problématiques plus vastes, telles que le rôle des différences religieuses dans la structure des communautés ou d’autres questions auxquelles il est impossible de répondre lorsqu’on se sert uniquement des observations et du point de vue d’un seul individu. La plupart des historiens sont d’accord sur le fait qu’il est impossible de donner une réponse définitive à la question « Que s’est-il produit dans le passé? ». Cependant, nous avons accès à des sources (textes) ainsi qu’à la recherche et aux écrits passés (contextes) pour mieux comprendre les individus, les évènements et les liens qui les unissaient dans le passé. Cette section examine quelques façons concrètes d’évaluer la qualité, la signification et l’importance des documents historiques lorsque nous « faisons de l’histoire ».

Étape 1 : évaluer la qualité de votre document historique
Comment mesure-t-on la qualité d’un document historique? Sa qualité dépend de trois facteurs : son authenticité, sa portée et son lien avec notre sujet de recherche. Voici quelques questions qui peuvent aider à évaluer ces éléments :

  • Est-ce que l’origine historique du document et l’endroit où il est archivé sont identifiés? Pourquoi ces renseignements sont-ils importants?
  • Comment savez-vous que ce document est authentique, c.-à-d., ce qu’il prétend être?
  • L’information qu’il contient est-elle complète ou est-ce qu’il manque des renseignements? Sont-ils illisibles? Comment un document incomplet ou une série incomplète de documents influencent-ils vos résultats de recherche?
  • Un seul document ne peut fournir suffisamment de preuves pour tirer une conclusion raisonnable sur le passé. Quels autres documents sur le même sujet, la même période de temps ou sur la même personne devriez-vous lire pour avoir une meilleure compréhension?

Étape 2 : évaluer le type d’information contenue dans le document
Tous les documents historiques nous donnent une sorte d’image instantanée du passé qui nous fournit une certaine information. Toutefois, avant de comprendre le contenu d’une telle image, nous devons nous renseigner sur le lieu et la date où elle a été prise, sur la raison de son existence et sur la personne qui l’a prise. Avant de pouvoir comprendre sa signification, il nous faut comprendre le contexte. Une lettre personnelle de 1881 et un recensement gouvernemental de la même date pourraient, par exemple, contenir de l’information fort utile pour un chercheur. Une lettre nous donne une bonne idée des expériences et des sentiments d’un individu, alors qu’un recensement fournit un aperçu (limité) des comportements observés. Le genre d’information que ces documents contiennent sur le passé est toutefois très différent. Par exemple, il est peu probable que l’étude du recensement permette d’explorer l’expérience émotionnelle vécue par un immigrant. Dans la mesure où nous connaissons a) le contexte dans lequel un document a été créé, b) dans quel but il a été créé, et c) nos propres questions de recherche, nous pouvons comprendre et évaluer le type d’information qu’il nous donne sur le passé.

Les questions des sections A) et B) ont révélé LES BUTS VISÉS par l’auteur du document ainsi que les autres types d’information qui peuvent en être tirés de façon à lever le voile sur le contexte social de l’époque où il a été créé. Vous pouvez pousser votre réflexion sur la preuve contenue dans le texte à la fin de ce document à l’aide de ce qui suit.

Le texte contient plusieurs renseignements à propos de certains aspects du passé.

  • Dressez une liste de trois questions concernant le passé auxquelles votre document répond convenablement.
  • Dressez une liste de trois questions concernant le passé auxquelles votre document donne une réponse insatisfaisante ou ne répond pas.
  • Quelle serait votre opinion sur cette source si vous appreniez qu’elle a été créée par a) un bureaucrate corrompu b) un auteur de romans historiques c) un patient dans un asile d’aliénés?
  • Quelle serait votre opinion sur cette source si vous appreniez qu’elle a été créée pour a) une campagne publicitaire b) une production théâtrale c) le gouvernement du Canada?

Étape 3 : évaluer l’importance du document pour votre raisonnement historique
Même si un document est authentique, complet et que son contexte est bien situé, il peut toujours s’avérer inutile pour la recherche historique, car l’importance de tout document historique dépend finalement de l’utilisation que l’historien en fait. Les connaissances que possèdent les chercheurs sur leur domaine général les aident à formuler des questions sur le passé qui sont pertinentes dans les débats actuels. L’habileté des historiens à penser de façon raisonnable, logique et créative les aide à déterminer si une source est utile pour répondre aux questions courantes ou nouvelles sur le passé.

Les questions suivantes permettent d’évaluer l’importance historique d’un document :

  • Qu’est-ce qui fait que ce document convient particulièrement à votre recherche?
  • Le type d’information que contient votre document répond-il aux questions que vous vous posez?
  • Est-ce que l’information contenue dans ce document appuie ou contredit les découvertes des autres historiens? De quelle façon?
  • Si votre recherche traite d’un nouveau sujet ou d’un domaine non exploré, comment est-elle reliée à d’autres recherches sur le plan géographique ou sur le sujet?
  • Devez-vous consulter un plus grand nombre de sources, des sources de types différents ou les recherches d’autres historiens pour appuyer vos conclusions?

La conception de l’apprentissage

Comme le soutenaient Roland Case et Ian Wright dans l’article « Taking Seriously the Teaching of Critical Thinking » (dans Roland Case and Penney Clark, eds., The Canadian Anthology of Social Studies: Issues and Strategies for Teachers (Vancouver: Pacific Educational Press, 1999, 179-193)), on doit enseigner aux élèves les habiletés requises pour poser un regard critique sur le monde d’aujourd’hui et celui d’hier. Case et Wright incluent cinq items dans leur « boîte à outils » de la pensée critique : des connaissances antérieures, une compréhension des critères pour porter un bon jugement, le vocabulaire spécifique de la pensée critique, des stratégies d’organisation de la pensée et des habiletés cognitives particulières. L’exercice qui suit contient deux parties et vise à fournir aux élèves trois des cinq outils requis :

1) Il fournira aux élèves le vocabulaire dont ils auront besoin pour discuter des documents qui seront à l’étude

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auteur, voix, public cible, préservation, archives, ainsi que tous les mots requis pour discuter des problèmes historiques importants dont il est question dans les documents : ethnicité, sexe, classe, institution et justice. Les enseignants devraient inclure ce vocabulaire, avec les définitions, à cet exercice.

2) Cet exercice permet aux élèves d’acquérir des stratégies pour développer une pensée critique face aux sources contenues dans ce site Web. À l’aide des concepts de preuve et de témoignage, les questions que l’on retrouve plus bas attirent l’attention des élèves sur le genre d’information contenue dans les documents historiques et le genre d’information qu’on peut en tirer, non seulement en étant attentif au message transmis volontairement par l’auteur dans son témoignage, mais aussi en lisant entre les lignes pour découvrir des preuves sur le passé contenues dans le document. En portant attention à l’auteur d’un document, les élèves pourront découvrir le témoignage que celui-ci a voulu rendre et apprendront comment comprendre un témoignage en contexte. Les élèves poursuivront ensuite leurs recherches pour découvrir le genre de preuves que les chercheurs trouvent généralement dans les documents historiques. Ils apprendront à chercher des preuves qui peuvent aider à comprendre une foule de choses sur les gens ayant vécu dans le passé, et même sur leurs relations mutuelles, s’ils apprennent à poser les bonnes questions. Les questions sur les feuilles A et B attirent donc l’attention des élèves sur le témoignage et la preuve en tant que stratégies pour développer une pensée critique sur les façons dont nous interprétons la « matière première » fournie par le passé, c’est-à-dire les documents historiques.

3) Le développement de la pensée critique offre des leçons importantes, car elle initie les élèves à l’importance des témoignages et, par le fait même, des preuves. Par contre, il arrive que leur premier contact avec les bases du savoir historique (souvent subtil, fragmenté et à plusieurs voix) ait la fâcheuse conséquence de paralyser leur capacité à généraliser ou à tirer les conclusions nécessaires afin d’obtenir un tableau général de l’histoire. La dernière partie de cet exercice comprend donc les critères utilisés par les historiens pour juger de la portée et du sens des documents (subtils, fragmentés et à plusieurs voix) qu’ils doivent lire.

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Archives de la C.-B., Bureau du premier ministre, correspondance interne, boîte 1, fichier 3 GR441
Lettre à l’honorable M. Smithe, premier ministre de la C.-B., le 28 avril 1885, du juge de paix de Saltspring Island, C.-B.


Vesuvius Bay, Salt Spring Island

Monsieur,
Je ne sais pas s’il est au-dessus de ma compétence de m’adresser à vous à propos d'un problème particulier, mais comme je suis directement concerné tant en raison de mes fonctions officielles qu’en ma qualité de colon, je me permets de le faire.

Je fais allusion à la nomination de M. W. Anderson au poste de constable, un choix que plusieurs ici considèrent comme très dangereux et plus susceptible de troubler la paix que de servir sa cause.

Personnellement, je n’ai aucun préjugé en ce qui a trait à la couleur, mais je crois que de nommer un homme de couleur pour préserver l’ordre et effectuer des arrestations au sein d’un grand nombre de Blancs est très risqué et susceptible de mener à de graves conséquences.

D’autres gens d’ici partagent ce sentiment et j’ai été informé aujourd’hui que les hommes ont menacé de ne pas autoriser un homme de couleur à arrêter l’un d’entre eux. Il est certain que cela peut jusqu’à un certain degré être une exagération, mais il n’est pas improbable que cela se produise si les hommes devaient être en boisson à ce moment-là.

Je demeure votre dévoué serviteur,
A Walter.

Je souhaite que cette missive demeure strictement confidentielle.